Mise à jour : 26 septembre 2021. #Buenos Aires.

 

Le quartier de San Telmo : Historique 

 

Il était une fois le faubourg de San Pedro de Telmo :

 

San Telmo est un faubourg hors la ville qui s’est créé tout naturellement le long de l’axe qui porte aujourd’hui le nom de calle Defensa à partir du début du XVIIIème siècle. C’était en effet le chemin qui reliait la Plaza Mayor (le centre civique et principal marché de la ville à cette époque) au premier port installé 4,5 km plus au sud sur le Rio Riachuelo composé de quelques cabanes (aujourd’hui quartier de Barracas).  

En ce début de XVIIème siècle, à proximité de la Plaza Mayor, les axes et les pâtés de maison sont bien définis et bien délimités, mais au sud de cette place de nombreux ruisseaux empêchent de tracer des rues aux contours certains et l’habitat devient plus clairsemé.

C’est ainsi que la future rue Defensa qui n’a pas encore de nom officiellement, mais que les porteños nomment « calle del Puerto » butte à 500 m de la place contre un petit ru, Tercero del Sur, qui grossit à chaque averse et qui empêche les charrettes tirés par les bœufs de traverser.  

Ce « Tercero del Sur » devient vite une limite naturelle qui délimite au nord le Buenos Aires proprement dit du hameau de San Telmo. Il est étonnant de constater que les limites actuelles du quartier sont placées exactement sur le lit de cette ancienne petite rivière aujourd’hui occupée par la calle Chile.

 

D'autres articles sur le quartier de San Telmo à lire :

- Le quartier de San Telmo (2021).

- Que va devenir le quartier de San Telmo après la pandémie ? (2021).

- A visiter dans le quartier de San Telmo. (En montage) 

 

Plan ci-dessous : Le plan de Buenos Aires et de San Telmo en 1780.

A droite sur (A) La plaza Mayor de laquelle part la calle Mayor qui relie le faubourg de San Telmo. En rouge limite actuelle du quartier de San Telmo. En jaune la calle Mayor (ou del puerto) actuelle calle Defensa. Sur (B) la Plaza "Alto de Telmo" actuelle plaza Dorrego.

 

 

La Calle Defensa, l'axe entre le port et la Plaza Mayor : 

 

Les commerçants et transporteurs avaient donc l’habitude de passer par la calle del Puerto (auj : calle Defensa), unique voie de communication possible pour apporter les objets et autres denrées à vendre au centre de Buenos Aires.

On peut dire donc que pendant tout le XVIIIème siècle la calle del Puerto (devenu Real, puis Mayor en 1738) était la principale rue au sud de la ville. (Au nord de la ville, la calle Florida était déjà l'autre rue commerciale de Buenos Aires).

En remontant du port chargé, les commerçants prennent l’habitude de faire une halte au haut d’une butte presque à mi chemin entre le Port et la Plaza Mayor. A l’abri de toute inondation et de montée des eaux, les commerçants garent leurs charrettes, reposent leurs attelages et surtout vont se désaltérer et même commencent à commercer hors les murs de la ville (donc moins cher).

Cette bute on la nomme tout simplement « El Alto de las Carretas » (la butte aux charrettes), qui deviendra ensuite el « Alto de San Pedro » (La butte San Pedro). C’est le début de la naissance du lieu dit de San Pedro de Telmo et du futur faubourg.

Le haut de cette butte, n'est pas une place proprement dite, mais le chemin s’élargit suffisamment pour stationner les équipages sans gêner la circulation. Quelques maisons s’y installent, des débits de boissons, quelques "pulperias" et quelques commerçants. En 1734, les jésuites acquièrent un terrain au sud-est du lieu dit pour ériger un couvent, une école et une église (Iglesia de Nuestra Señora de Belén), l'ensemble sera nommé la "Residencia"

 

 

La Residencia : 

 

On prend l’habitude de nommé cet ensemble de constructions « La Residencia ». Le faubourg commence alors à se peupler, la population augmente, le trafic des charrettes aussi et sur le haut de la butte, à force d’élargir le chemin pour pouvoir y stationner un nombre chaque fois plus important de charrettes, une place se forme sur la proprieté du Señor Don Juan Conde qui longe l’emplacement.

En 1745, on trouve pour la première fois une trace écrite par le Cabildo de Buenos Aires qui stipule qu’officiellement « El Alto de las Carretas » servira au repos des bœufs qui traînent les charrettes provenant du Riachuelo.

En mai 1767, Le Cabildo de Buenos Aires achète le terrain a Don Juan Conde, pour enfin former une véritable petite place publique.

Trois mois plus tard, en juillet 1767, les jésuites sont expulsés de Buenos Aires, et la Residencia passe en 1795 aux mains de l’Ordre de Bethleem (Orden de los Hermanos de Nuestra Señora de Bethlehem) peu de temps après la « Residencia » devient une prison.

En 1806, la butte devient officiellement la Paroisse de San Pedro de Telmo qui se détache de la paroisse de la Concepcion. Peu à peu on prendra alors l’habitude de designer la paroisse et son faubourg de San Telmo. Quant à la petite place, elle deviendra en 1822 la « Plaza del Comercio ». Il faut dire qu’au fil des années, le commerce y devient de plus en plus important, les plus riches commerçants décidant même de s’y installer avec leurs familles. On peut commencer a sentir un « embourgeoisement » du quartier avec ses riches familles de négociants qui y font construire des maisons de plus en plus somptueuses.

En 1861, on construit sur la Plaza del Comercio un marché couvert « El Mercado del Comercio »  qui restera debout jusqu’en 1897. Il fut remplacé par le Mercado de San Telmo sur la calle Defensa et Humberto primo (encore debout).

Une fois donc le vieux marché de la Plaza del Comercio démoli, on la plante d’arbres comme on peut la voir encore aujourd’hui et en 1900, la place change de nom pour prendre son appellation actuelle de Plaza Manuel Dorrego. 

 

Les fièvres jaunes à San Telmo :

 

Pendant la fin du XVIIIème siècle et la première partie du XIXème siècle, le quartier de San Telmo comptait sur la calle Defensa les résidences de riches familles de commerçants et patriciennes comme celle de la famille French sur Defensa 1062.

Mais les différentes fièvres jaunes qui arrivèrent en ville en 1852, puis en 1858, 1870, mais surtout en 1871 décimèrent les populations des quartiers ou le niveau d’hygiène était le plus bas.

San Telmo en raison de sa proximité avec le Rio de la Plata mais surtout des innombrables petites rivières qui traversait le quartier et enfin de la consommation d’eau polluée par des carcasses de bêtes croupissantes dans ce même Rio de la Plata., se transforme à chaque fois en centre de l'épidémie.

Le quartier de San Telmo est le quartier qui compte alors le plus grand nombre de "conventillos", maisons de plein pied ou d’un étage divisé par son propriétaires pour y placer un maximum de familles de locataires, souvent émigrés européens récemment arrivés et d’une extrême pauvreté.

Le 27 janvier 1867, on apprend quelques cas de locataires de ces "conventillos" qui "vomissent noir".

En février et mars de la même année, on compte jusqu’à 100 décès par jour essentiellement dans le quartier de San Telmo.

Le pic de l’épidémie arrive en avril. (Le 10 avril : 563 décès). L’épidémie s’arrêtera d’elle-même avec les premiers froids en juin.

On estime a 14.000 morts à Buenos Aires sur une population de 180.000 habitants (soit 8% de la population décimée en 4 mois).

A partir du mois de février devant l’avancée de l’épidémie les dernières familles les plus aisées quittent précipitamment San Telmo pour se réfugier "à la campagne", c'est-à-dire vers le nouveau quartier de La Recoleta à l’extrême opposé au nord de la ville. Le mouvement avait déjà commencé dès 1852.

 

Photo ci-dessous : "Conventillo" à San Telmo au début du XXème siècle. 

 

 

Appauvrissement de San Telmo : 1852 -1871

 

Les conséquences de ces épidémies, sont multiples.

Une prise de conscience des autorités de la ville pour mettre en place un véritable système de traitements des eaux pour pouvoir au plus vite approvisionner les habitants.

Mais c'est aussi le départ des classes aisées et même moyennes du quartier de San Telmo, et d’une transformation totale du panel social du quartier (et donc des types de commerces et d’habitations).

De nombreux petits hôtels particuliers ou de riches maisons de l’époque coloniale espagnole sont récupérés pour les transformer en "conventillos".

Entre 1852 et 1871, San Telmo s’appauvrit totalement et devient un quartier peu recommandable ou ne loge que le prolétariat qui servira de main d’œuvre aux premières industries créés dans les quartiers de Barracas et de La Boca.

Cette image de "quartier sordide" va coller à San Telmo pendant de très longues décennies.

Impossible pour un bourgeois en 1900, 1930 ou 1960 d’aller vivre à San Telmo. Ca serait se déclasser totalement aux yeux de sa famille et de ses amis.

On ne choisit pas d’aller vivre a San Telmo, on y va parce qu’on n’en a pas le choix. Chaque vapeur arrivant au port de Buenos Aires à partir des années 1855-1865, déversent chaque jour des centaines de nouveaux miséreux arrivants d’Europe et rêvant faire fortune dans le pays.

Les "conventillos2 et  "hotels de familles" les plus modestes aux plus glauques de San Telmo les recueillent, et souvent le logement provisoire de ces nouveaux migrants devient définitif car la fortune n’arrive pas ! 

 

 

 

San Telmo depuis 1970 :

 

La « récupération » du quartier est longue et difficile. C’est sous l’impulsion de l’architecte Jose Maria Peña, qu’une association du quartier lance l’idée de monter un vide grenier qui deviendra rapidement hebdomadaire chaque dimanche à partir de  novembre 1970.

La municipalité accepte le principe, l’autorise, et ensuite au fil des années le promeut. Une façon de faire venir tout d’abord des habitants du quartier sur la place mais aussi de montrer aux "Porteños" des beaux quartiers qu’ils peuvent aussi venir y chiner, ne serait ce que le dimanche.

La Feria de San Telmo se développe rapidement dans les années 70, et ne perdra jamais en vigueur ni en rayonnement. Il faut attendre les années 90, pour que les touristes étrangers commencent à s’y intéresser.

Les années 90 sont aussi le moment ou la Municipalité va commencer à nettoyer si ce n’est pas l’ensemble du quartier, tout du moins la calle Defensa.

On refait les trottoirs, on installe de "faux vieux" réverbères en bronze pour donner une touche "typique" qu’on peut regretter aujourd’hui.

On enlève le bitume pour paver à l’ancienne la calle Defensa entre l’avenida Independencia et l’avenida Belgrano.

Entre temps, les antiquaires de la ville comprennent que la rue commence à drainer de nombreux clients potentiels (y compris étrangers) et achètent à tour de bras les pas de boutiques pour s’y installer.

Si les transformations esthétiques des abords de la calle Defensa et de la Plaza Dorrego sont perceptibles, la configuration sociale de la population du quartier ne change pas.

Au contraire, de nombreux squats s’ouvrent dans les rues adjacentes, occupés par des provinciaux provenant de lointaines provinces venant chercher du travail à Buenos Aires, et de nombreux Péruviens, Boliviens et Paraguayens tentant leurs chances ici. Ils suivent ainsi les traces des miséreux d’Italie, d’Espagne ou d’Europe Centrale qui s'y étaient installés à la fin du XIXème siècle.

A partir des années 1990, deux mondes distincts se côtoient dans le même quartier mais ne se mélange pas. D’un coté le prolétariat étranger et provincial dans les squats à l'étage et de l’autre les magasins d’antiquités souvent au rez de chaussées des mêmes immeubles s’adressant à ceux qui viennent des autres quartiers lors de la Feria du dimanche. 

 

C'est à la fin des années 90, et juste avant la crise de 2001-2002, qu'arrive le concept "auberge de jeunesse" qui se dit ici « Hostal » ou « Hostel » et qui remplit les anciennes demeures souvent en évacuant un ancien squat (qui se déplace souvent à l’immeuble voisin)

Voila une nouvelle faune composée essentiellement d’anglo-saxons ou d’européens jeunes et moins jeunes qui acceptent de dormir en dortoirs (ce qui reste impensable pour un touriste Argentin ou Brésilien). Pour la plupart, bourlingueurs, "tourdumondiste", "onda hippie" viennent envahir le quartier.

Il faut dire que le m2 d'appartement est tellement bas, que bon nombre d'Argentins voulant vite faire fortune, rachètent des maisons entières, passent un coup de peinture, refont les sanitaires, et les chambres anciennement occupés par des boliviens se voient occupés par des Australiens mais pas au même prix ! 

Les boutiques changent aussi, et les magasins de proximités se transforment en bars branchouilles, pubs, pizzerias et autres magasins tendances. 

Les squats sont toujours aussi nombreux, et les Boliviens et les européens partage le même quartier sans pour autant partager les mêmes espaces. 

 

Photo ci dessous : La calle Defensa en 2014, de nombreux locaux à louer. 

 

A partir des années 2010 : 

 

Certainement l'époque la plus dorée de San Telmo. Un afflue considérable de touristes étrangers combiné à un nouveau nombres d’européens constitués de Pévétistes et autres stagiaires et étudiants qui n'existaient pas dix ans plus tôt, viennent gonfler le nombre de locataires temporaires. 

On construit même des immeubles tout neufs uniquement composés de  "monoambientes" (studios) destinés a recevoir cette clientèle aisée qui s'installent pour plusieurs mois dans le quartier. 

Les anciens locataires péruviens ou boliviens ou même argentins pauvres sont remplacés par ces habitants de 3 a 6 mois. Les quelques derniers rares magasins de proximités de la calle Defensa ferment définitivement pour laisser place à des boutique de modes, vêtements, souvenirs et bars-pub. Les commerces d'alimentation et les supermarchés chinois se déplacent vers la calle Bolivar ou plus loin.

Les loyers ont terriblement augmenté car entre 2010 et 2020 la presque totalité des boutiques sur Defensa entre calle Chile et Avenida San Juan ne s’adressent qu’aux touristes. De plus les antiquaires (qui se rendent compte que leur clientèle est composée d’argentins aisés, et non de touristes étrangers aisés) commencent à quitter le quartier (vers Colegiales) et laissent aussi la place à des magasins de fringues (bien plus rentables).

Quant aux autres négoces, devant le loyer exorbitant demandé pour être sur la calle Defensa, les boutiques ne retrouvent pas forcement de nouveaux locataires.

La Calle Defensa est devenu en 2014-2015 l’axe commercial de Buenos Aires détenant le record de locaux commerciaux vides (23 % des magasins restaient vides). Il existe maintenant un décalage entre les loyers demandés et la rentabilité d’avoir un négoce pour ne vendre que des produits touristiques. Un article du quotidien Clarin de janvier 2014 n’a pas peur même de parler de décadence du quartier (à lire ici).

Sans être aussi excessif, il est vrai que le quartier de San Telmo, malgré de réelles tentatives du gouvernement de la ville de Buenos Aires n’a avantagé que les apports et aménagements touristiques et ludiques, avant de s’attaquer aux réels problèmes des habitants permanents et de leurs vies quotidiennes.

En résumé, les classes moyennes argentines ne recherchent toujours pas à venir s’installer dans le quartier. On ne peut pas miser que sur le tourisme pour faire évoluer un quartier.

San Telmo c’est donc deux mondes : la calle Defensa touristique et le reste du quartier qui vit en marge.

 

Photo ci dessous : Le Mercado de San Telmo, totalement vide un dimanche de juin 2020

La Pandémie de 2020-2021 : 

 

J'ai déjà écrit un article un peu plus complet sur le sujet, retrouvez le : 

Que va devenir le quartier de San Telmo après la pandémie ? (2021).

A partir de mars 2020, les frontières internationales du pays sont fermées, et plus l'ombre d'un touriste, "pévétiste", stagiare et étudiant étranger ne débarque à l’aéroport d'Ezeiza et donc ne vient s'installer à San Telmo. Ce n'est pas un arrêt économique, mais une chute, une Berezina qui s'abat sur San Telmo.

La calle Defensa parait devenir un paysage urbain digne de figurer dans un épisode de Walking Dead, TOUT est fermé. Les rues sont vides, aucun piéton.

A force d'avoir tout misé sur le tourisme depuis 30 ans, on s'aperçoit que le quartier ou tout du moins la Calle Defensa, la Plaza Dorrego et ces rues perpendiculaire dans un rayon de 100 m n'est qu'une coquille vide puisqu'il n'y a plus d'habitants permanents. 

A partir de 2021, une petite récupération se fait en misant à nouveau sur les "Porteños" (habitants de Buenos Aires) qui se réapproprient une partie du quartier, mais délaissent la Calle Defensa pour migrer plutôt sur la calle Bolivar ou bon nombre de bars s'ouvrent (Loyers bien plus bas, et donc consommations aussi).

Si les locaux gastronomiques paraissent vivre un renouveau en tout cas sur calle Bolivar, par contre les magasins touristiques ont presque tous disparus et les auberges de jeunesses ont tous fait faillite.

2022 va être l'année du retour des touristes étrangers, on verra commet San Telmo évolue, et les touristes y reviennent !  

 

 

Photo ci-dessous : Le Musée Historique de Buenos Aires installé dans le Parc Lezama. Un petit air de famille avec le Palacio San Jose de la province de Entre Rios.

 

A lire aussi sur Buenos Aires :

 

      

Retour à l'accueil