Mise à jour : 20 août 2012. Article écrit par Igor Dniestrowski.

nullLe Musée Pénitencier Argentin :

En plein centre du quartier de San Telmo, El Museo Penitenciario Argentino Antonio Ballvé est un musée dédié comme vous l’aurez compris à l’univers carcéral. Ce musée possède plusieurs caractéristiques : il est situé dans un ancien couvent jésuite qui fut transformé par la suite en prison, mais aussi c’est à cet endroit que le premier institut de criminologie de la ville fut fondé. Ce n’est que bien plus tard que la prison fut transformée en prison pour femmes avant de devenir aujourd’hui ce lieu qui retrace l’histoire du monde pénitencier. C’est donc un musée aux allures très étranges qui jouit d’un passé unique en son genre.

Photo : le patio central du Musée Pénitencier de Buenos Aires.

 

nullLa Casa de Ejercicios Espirituales (1740 – 1767)

L’histoire de ce bâtiment commença en 1732 lorsqu’Ignacio Bustillo y Zeballos promit à la Divine Providence de fonder un couvent jésuite et une église si son voyage en Espagne se déroulait correctement. Cette église tout d’abord nommé Iglesia de Nuestra Señora de Belén changera ensuite de nom en Iglesia de San Pedro González Telmo. L’ensemble sera édifié sur la partie la plus élevée d’un lieu dit au sud de la ville de Buenos Aires nommé « Alto de las Carretas » ou « Alto de San Pedro ». On parle alors aussi de « Alto » (Une halte), car les charrettes avaient l’habitude aussi de s’y arrêter avant d’entrer à Buenos Aires. Ce bâtiment devait bénéficier à de nombreuses personnes habitant le quartier puisqu’à l’époque, durant l’hiver, le quartier pouvait se retrouver complètement isolé du reste de la ville du aux crues de la rivière Zanjón de Granados qui coupait l’actuelle Calle Defensa au niveau de l’actuelle Calle Chile. Ignacio Bustillo y Ceballos (ou Cevallos) offrit donc le terrain à l’Ordre des Jésuites pour que ceux-ci puissent donc fonder leur établissement comprenant église, couvent et école. Le terrain s’étend sur deux hectares entre les actuelles calles Defensa et Paseo colon (qui était à l’époque la rive du Rio de la Plata) et dans le sens est-ouest entre les calles Humberto Primo et San Juan. En 1734 que l’architecte Jesuite Andrés Blanqui prépara le projet pour le temple et l’école. Les travaux commencèrent en 1735 sous la direction d’un autre Jésuite, Juan Bautista Prímoli, remplacé quelques mois plus tard par le Frère Schmitt.

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La construction de la « Casa de Ejercicios Espirituales » débuta en 1740. Mais en 1742 le Frère Schmitt contracta une grave maladie, mais continua la construction jusqu’en 1745 où, trop malade, il dut être remplacé par le Frère Antonio Masella. Le bâtiment fut terminé en 1746 et un décret royal datant de la même année reconnu la « Casa de la Compañia de Jesus » en tant qu’établissement dédié aux exercices spirituels pour homme. Malheureusement pour eux, par le roi d’Espagne Charles III de Bourbon ordonna d’expulser l’ordre jésuite en juillet 1767 du Río de la Plata. La directive fut appliquée à Buenos Aires durant la nuit du 2 au 3 juillet 1767. A cette date, l’ensemble jésuite de la calle Bethléem (actuelle Calle Humberto Primo) la « Casa de Ejercicios Espirituales », le « Colegio de primeras letras », le couvent, un cimetière et l’Eglise de Nuestra Señora de Belén qui était presque terminée (Il lui manquait plus que sa coupole). Le bâtiment est alors transformé en prison provisoire pour les jésuites attendant leur déportation et ce jusqu’en octobre 1768.

Photos : En haut, dessin de l'ensemble architectural avec de gauche à droite, la Residencia, l'Eglise et la Casa de Ejercicios durant la période jesuite.

En bas : La galerie du Patio du Rez de chaussée de la Casa de Ejercicios aujourd'hui Musée Penitenciaire.

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nullPrison et Hôpital (1777 – 1877)

Le bâtiment fut alors repris par la « Junta de Temporalidades » qui le transforma en caserne et dépôt jusqu'à fin 1777. A cette date, Juan José de Vértiz (futur vice-roi du Río de la Plata) destina ce lieu « à la correction de toutes les femmes ayant de mauvaise mœurs ». L’encadrement des femmes était alors assuré par des volontaires qui leur confiaient la tâche de fabriquer des draps et des couvertures. On y enfermait également des Indiens afin de pouvoir les échanger contre des prisonniers de guerre.

Ce n’est qu’en 1795 que les « Bethlemitas » (l’ordre des Frères de Notre Dame de Bethléem), ordre dédié aux soins des malades, reprirent le lieu pour en transformer une partie en hôpital. Ils entreprirent le transfert de L’hôpital pour Hommes à cet endroit. Pour ce qui est de l’autre partie du bâtiment, il était dédié aux « péripatéticienne et femmes abandonnées ».

nullEn 1807, suite au combat de la deuxième invasion anglaise, les soldats britanniques appartenant au régiment du Colonel William Guard prirent possession de la résidence. Le 7 juillet 1807, les anglais furent vaincus et la résidence fut de nouveau pris en charge par les « Bethlemitas ». Mais en juillet 1812, le Frère José de las Ánimas, alors chef de « Bethlemitas » fut impliqué dans la supposé conspiration de Álzaga. Cette conspiration contre le gouvernement en place n’a pas réellement été prouvée mais les soi-disant participants de cette conspiration, dont faisait partie le Frère José de las Ánimas, furent très rapidement exécutés. Malgré cet événement, la résidence continua d’être prise en charge par les « Bethlemitas » jusqu’en 1820 où l’ordre fut supprimé par décret de la Cour de Cadix. Le bâtiment dut alors fermer ses portes durant 2 ans.

Puis en 1822, l’hôpital passa sous la juridiction de l’Etat qui le renomma « La Residencia ». « La Residencia » était alors un hôpital militaire mais il était également dédié aux malades mentaux. En 1860, l’Etat lui donna de nouveau un autre nom : « La Penitenciaría de la Residencia ». Il fut alors transformé en une prison mixte qui s’occupait à la fois des femmes mais aussi de mineurs abandonnés et d’hommes ayant commis de petits délits.

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nullPrison de Femme (1877 – 1977) 

Mais lorsqu’en 1877 fut inauguré le centre pénitencier national, les hommes y furent transférés et seules les femmes et les mineurs restèrent à « la Residencia ». Puis en 1890, sous l’impulsion du ministre de la Justice Juan María Gutiérrez, la maison se transforma en Asile Correctionnel pour femmes et la direction de cette prison fut confiée à la congrégation des filles du Bon Pasteur. Cette situation dura pendant 85 ans et ce n’est qu’en 1974 que les religieuses se retirèrent de la prison, laissant au service pénitencier fédéral la charge de celle-ci. Mais trois ans plus tard, en 1977, les femmes furent transférées au nouvel institut correctionnel pour femmes localisé à Ezeiza. Puis « la Residencia » accueillit l’Académie Supérieur des Etudes Pénitentiaires en 1979.

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nullMusée pénitentiaire :

Le  4 décembre 1980 que le Musée Pénitencier Argentin Antonio Ballvé est inauguré. Celui-ci porte le nom du directeur du centre pénitencier National (et non de « la Residencia ») qui fit des changements radicaux entre 1904 et 1909 en matière de comportement vis-à-vis des détenus comme par exemple la fin « del régimen del silencio » qui interdisait aux gardes de s’adresser à certains détenus afin de les laisser dans une misère morale insupportable. Finalement en 1982, le bâtiment est classé monument historique National et dépend toujours du service pénitentiaire Federal.

nullQui était Antonio Ballvé ?

Antonio Ballvé vécut seulement 42 ans et il commença sa carrière en tant que policier de Buenos Aires. Ce personnage est emblématique pour le système carcéral argentin car c’est lui qui entreprit des changements radicaux dans la façon de traiter les prisonniers. Antonio Ballvé fut nommer directeur du pénitencier national le 22 octobre 1904. Il mit fin au régime du silence et établit des récompenses et des peines en fonction du comportement des détenus. Il créa l’institut de Criminologie le 20 juin 1907 afin de faire avancer les connaissances en matière de criminologie. C’est dans ce cadre qu’il offrit au prestigieux philosophe argentin José Ingenerios un bureau au sein de cet institut afin qu’il puisse aborder des thèmes comme l’étude des prisons, les théories de la classification des prisonniers et l’étude du comportement des détenus. Antonio Ballvé avait la forte conviction que l’idéal moderne de tout système pénitencier consistait à la « transformation moral des délinquants ». Pour atteindre cet objectif, le système pénitencier devait se baser sur 3 facteurs principaux : le régime disciplinaire, l’éducation, le travail des prisonniers. C’est grâce à ces 3 facteurs que Ballvé créa une classification progressive des détenus qui se décomposait ainsi : le grade neutre qui touche tout nouveau détenu, le grade de mérite pour les détenus ayant une bonne conduite, le grade de recul pour les prisonniers qui n’acceptaient pas le règlement du centre carcéral. En ce qui concerne l’encadrement médical, Antonio Ballvé suggère que tous les moyens thérapeutiques doivent être mis en place. Ce n’est plus seulement un suivi médical ou un suivi psychologique qui encadrent le prisonnier mais c’est un suivi global, c'est-à-dire médical, psychologique, social, physiologique, pour tous les détenus afin d’obtenir une réhabilitation complète de ces derniers. Ballvé est donc le précurseur d’une nouvelle manière de penser l’emprisonnement et son œuvre a marqué considérablement la suite des évolutions dans ce domaine.

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nullLa visite du Musée

Le musée comporte 8 salles chacune ayant une thématique bien précise.

La première salle est celle dédiée l’actualité pénitentiaire argentine. On y trouve quelques panneaux donnant de nombreuses informations sur les conditions d’emprisonnement, sur le nombre de prisonnier aujourd’hui. On y trouve également une reproduction miniature du musée et une vieille lettre d’un détenu. Cette salle est un peu à part, elle ne présente pas un grand intérêt car elle n’est pas véritablement soigné et ne possède pas de véritable unité bien qu’elle soit dédié à l’actualité pénitentiaire.

La deuxième salle est quant à elle beaucoup plus intéressante. Elle est dédié aux différentes personnes ainsi qu’à leur doctrine qui ont permis de faire avancer le traitement des prisonniers en vue d’une réhabilitation dans la société. On y trouve donc un rapide résumé des pensées d’auteurs tels que Bentham qui a prouvé la relation entre l’architecture du centre carcéral et le moral des prisonniers, ou bien encore de Cesare Lombroso qui s’intéressa aux particularités physiques que les criminels possédaient, affirmant que ces derniers étaient situés entre l’homme et le singe sur l’échelle de l’évolution, et bien d’autres encore. Cette salle peut paraître vide car il n’y a pas de vitrines ou d’objets à regarder, mais les différents panneaux sont très intéressants et valent la peine d’être lu.

nullLa troisième salle quant à elle s’intéresse à deux choses. D’une part, elle décrit la vie des prisonniers de cette ancienne prison. On y apprend donc les différentes tâches auxquelles devaient se livrer les femmes mais aussi comment les religieuses de cet établissement les encadraient. D’autre part, cette salle traite, sous un prisme historique, de la définition du délit selon les différentes époques, des premières prisons d’Argentine et des différentes peines auxquelles l’on pouvait être condamné. Cela pouvait aller du fouet à la pendaison, en passant par la honte publique. On y apprend la manière avec laquelle nos sociétés traité et considéré le délit.

La quatrième salle est consacrée aux criminels célèbres ainsi qu’à leurs crimes. On y découvre des lettres de ces détenus, leur biographie, le détail très (peut-être trop) précis de leurs crimes ainsi que leur uniforme. Cette salle apparaît donc plus comme une salle de l’horreur où les plus grands criminels argentin tel que Mateo Banks, Simón Radowitzky ou encore Cayetano Santos Godino ont un panneau relatant leurs méfaits.

La cinquième salle regroupe tous les différents ustensiles et armes que les détenus ont fabriqué par eux-mêmes et à l’insu des gardes. On trouve donc des couteaux, des massues à clous mais aussi des outils pour tatouer, des cartes à jouer et bien d’autres choses. Les panneaux expliquent comment ces objets ont été fabriqués et comment ils ont évolué.

nullLa sixième salle s’intéresse à l’évolution des traitements médicaux et des conditions de vie des prisonniers. On y trouve une table d’opération, une ancienne pharmacie et bien d’autres appareils qui assuraient la santé des détenus. On découvre alors comment petit à petit le prisonnier a acquis des droits en matière de santé, de traitement mais aussi en matière d’éducation.

La septième salle traite de la culture dans les prisons. Elle nous montre comment celle-ci est promue au sein des prisons. On découvre alors que de nombreux spectacles de danse, de musique ou même des spectacles humoristiques faisait partie de la vie des prisonniers. On y trouve des rétroprojecteurs d’époque, des vieilles radios, et des instruments de musiques qui étaient destinés aux prisonniers.

La dernière et huitième salle possède plusieurs représentations de cellules selon les différentes époques. Cette salle permet de mieux se représenter ce que devait être la vie au sein de ces cellules qui sont parfois munis du strict minimum. On y trouve à l’étage une cellule pour femme ainsi qu’un cabinet gynécologique qui servait à l’époque de la prison.

nullConclusion :

Pas très connu, ce musée a peut être l’avantage de nous faire entrer dans un des derniers bâtiments de l’époque coloniale encore debout à Buenos Aires. La visite en elle-même des différentes salles peut intéresser ceux qui sont passionnés par l’univers carcéral, en tout cas dans son évolution, mais pour les autres disons que ca sera uniquement un prétexte à connaître la condition de la femme en milieu carcérale et comment à la fin du XIXème siècle, la société pouvait ou non donner une chance a ces « femmes perdues ». La visite est rapide, comptez une heure. Disons que ca sera un élément complémentaire à la visite de l’Eglise de San Pedro Telmo dans le quartier.

nullFiche Pratique :

L’entrée se fait par la calle Humberto Primo 378, dans le quartier de San Telmo à une demi cuadra de la place Dorrego. Le musée est ouvert du jeudi au dimanche de 14h00 à 18h00. Il existe des visites guidées le dimanche à 14h30, 16h et 17h30. L’entrée est gratuite.

Le site web du musée :  http://museopenitenciarioargentino.blogspot.com.ar/

Pour avoir un peu plus de renseignement sur le sujet :

Le Blog de Cecilia Maidana : http://ceciliamaidana.blogspot.com.ar/2011/07/museo-penitenciario.html

Article de la Nacion du 15 novembre 2004 : http://www.lanacion.com.ar/654213-un-museo-recrea-la-vida-tras-las-rejas-desde-el-siglo-xix

Fouilles archéologiques sur la manzana jésuite de la Iglesia San Pedro González Telmo : http://www.iaa.fadu.uba.ar/cau/ebooks/Arqueologia_de_San_Telmo.pdf

A lire aussi dans le Petit Hergé sur le quartier de San Telmo :

   

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