Bar El Británico (San Telmo - Buenos Aires)
12 août 2011Mise à jour : 28 novembre 2014 / 07 avril 2014 / 12 août 2011. Catégorie : Buenos Aires.
Article écrit par Elodie Charrier.
Toute promenade dans le quartier de San Telmo passe nécessairement par la calle Defensa, mythique rue de la Feria de San Telmo. Ainsi il parait difficile de passer à côté de ce bar emblématique du quartier sans même le voir. Sa façade recouverte de bois, et ses miroirs muraux en font probablement l’indéniable charme. Mais que l’on soit un habitué du quartier, ou simple promeneur de passage, une halte au Britanico est toujours l’excuse pour prendre le temps de boire un café. « El nostalgioso café de las reuniones si apuro » comme disait le poète Norberto Caral.
Le nouveau locataire Agustin Sousa qui en 2007 avait repris et rouvert le Británico a jeté l’éponge et mis fin à son bail début août 2014. Bref, nous voila de nouveau devant une devanture fermée. Les propriétaires des lieux ayant acheté en 2006 le nom de Bar Britanico (et espérant que cela serve à quelque chose), il est fort à parier (ou du moins espérons le) que la fermeture ne sera que de courte durée et que le Britanico renaisse à nouveau de ses cendres. En attendant il ne vous reste plus qu’a vous rendre juste en face au Bar Hipopotamo qui veille depuis plus d’un siècle à l’angle de Brasil et Defensa. Article du Clarin (en espagnol) du 16 août 2014. Ci dessous vous trouverez l’article écrit en 2011 avec l’historique des lieux ! Bien entendu dès que l’annonce d’une réouverture semble se préciser, vous en serez informés !
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La Cosechadora : L’histoire du "Británico" s’avère être pleine de rebondissements. C’est sur le terrain d’un ancien cinéma de quartier, qu’en 1928, un nouveau bâtiment de cinq étages voit le jour. Au rez de chaussé, à l’angle, un « bar – almacen » ouvre sous le nom ‘La Cosechera’ (la moissonneuse batteuse) ce bar authentique du quartier de San Telmo devient très rapidement le repère des vétérans anglais de la première guerre mondiale. Ceux-ci habitaient près de là sur Avenida de Garay et avaient converti ce lieu en leur quartier général ! A l’époque il ne s’agit pas seulement d’un bar mais également d’un petit commerce de proximité, vendant à ses habitués à peu près tout ce dont ils peuvent avoir besoin. Très rapidement le petit magasin qui se trouvait à l’intérieur du café disparut pour permettre au bar de se développer. Avec sa clientèle majoritairement britannique, « La Cosechadora » devient rapidement le « Britanico ». Photos : Deux des trois gallegos, à gauche Manolo Pose, à droite Jose Trillo (décédé en avril 2009). |
Los Tres Gallegos y el Británico : Les années passant les anglais se font plus rares, et en 1959, trois espagnols provenant de Galice achètent le bar. Il devient vite le repère des Galiciens du quartier de San Telmo. Les trois Espagnols se relaient nuit et jour pour ne pas fermer les lieux. Pepe Miñones, José Trillo et Manolo Pose. Chacun leurs huit heures, Pepe le matin, Jose en journée et Manolo le soir, et cela sept jours sur sept et pendant plus de quarante ans ! De nombreux artistes aimaient y passer de longs moments et on se souvient encore des longues parties d’échecs qui rythmaient leurs après-midi au son d'une guitarre. |
Le début de la guerre des Malouines (1982) et le sens patriotique des porteños, pour ne pas dire de leur exécration de tout ce qui est "british" pendant la dictature, poussent nos trois dueños des lieux à prenrde un décision radicale ... changer le nom du bar ! Mais voilá, Le "Britanico" est tellement célèbre, que s'il fallait changer du jour au lendemain l'enseigne, cela ferait fuir la clientèle, et puis le "Britanico" ne serait plus le "Britanico" ! Alors la décision est prise "d'atténuer" la connotation anglaise, en lui retirant les 3 premières lettres ! C'est ainsi que le Britanico se transforma en "Tanico" (Qui, en passant, ne veux rien dire !). Le Départ de Videla et le retour de la démocratie auront vite fait de rajouter à nouveau les 3 premières lettres au nom du célèbre bar ! Photo : Peinture du Bar Britanico. |
Octobre 2005 : La mort annoncée En 2004, le contrat de location (commencé en 1959) se termine. Les trois espagnols sont en très bon terme avec le propriétaire des murs, et décident tous de poursuivre la location mais sans signer aucun autre nouveau contrat. Ce fut certainement une décision un peu légère car quelques mois plus tard, le propriétaire de l’endroit décède et le bar revient à son fils Juan Pablo Benvenuto qui n’a que faire de l’histoire du Britanico. Dans un premier temps, il rassure les trois locataires Gallegos et promet que rien ne changera, mais en octobre 2005, il envoie un « contrato de desalojo » (demande d’expulsion, à envoyer 6 mois avant). Plus intéressé à ce coin de rue qui au fil des années a pris de la valeur, il veut rénover tout le local pour ensuite le louer au plus offrant ! Pour Jose (Pepe) Miñonez et ces deux associés c’est un choc, 45 ans de vie ne peuvent s’achever ainsi, devoir rendre les clefs et voir mourir aussi une institution du quartier, lui parait impossible. Légalement ils ne peuvent rien faire. Le 31 mars 2006, le Bar Britanico ne doit plus exister ! La presse s’empare de l’affaire, on voit Pepe au bord des larmes à la télévision, la clientèle stupéfaite de la nouvelle, et les habitants de San Telmo s’unissent tous pour empêcher le « nouveau dueño » de vouloir démolir le temple de Brasil et Defensa ! 6.000 signatures sont réunies en quelques jours et déposées au gouvernement de Buenos Aires pour « faire quelque chose ». 6.000 signatures est ici le minimum demandé pour déposer une pétition aux autorités de la Ville. Ils en obtiendront 20.000 ! Le café était certes déclaré "bar notable" de la Ville dès 1998, lors de la constitution de la première liste des 39 bars à protéger, mais ce statut ne permet pas juridiquement d’empêcher un propriétaire de le mettre à bas. « Bar Notable » est uniquement une reconnaissance culturelle et non un statut juridique historique. |
Avril – Juin 2006 : La Résistance et la fermeture : Au fil des mois la situation dégénère, Juan Pablo Benvenuto déclarant même dans le bar que les trois Gallegos avaient mieux à faire maintenant et qu’il serait mieux pour eux de retourner en Espagne ! Nous sommes passés proche d’une scène de lynchage de la part des habitués du lieu sur le nouveau propriétaire. Celui-ci offre ensuite 20.000 USD aux trois Gallegos mais ceux-ci refusent. Entre avril et juin 2006, les Gallegos et leurs clients font de la résistance, et le bar se transforme en Assemblée Générale permanente, où les voisins du quartier passent pour soutenir ceux qui siègent en permanence, car un juge peut demander à la police de procéder à un « desalojo » à tout moment. Le Britanico devient un camp retranché. Le conflit remonte aux personalités politiques, le président de la ville, Jorge Telerman. En mai 2006 celui-ci fait voter par le parlement de la ville la loi (ley 1227) qui ordonne de «respetar el patrimonio histórico cultural 'tangible e intangible' » des immeubles de Buenos Aires. Ce qui sauve la destruction totale du bar, mais pas le changement d’affectation ni des travaux qui peuvent avoir lieu dedans. Le 05 juin 2006, on attend la police, rien ne se passe, tout le quartier descend dans la rue, la calle Defensa est fermée à la circulation, la nuit arrive et les habitants attendent, avec les Gallegos, les forces de l’ordre. Le 06 juin, la rue est toujours bloquée, tous les medias sont là. On attend la cours civil 107 et le juge Diego Ibarra qui doit procéder à l’expulsion des Gallegos du local. Il est 7h du matin, le juge arrive entouré par de nombreuses forces de l’ordre. L’officier de justice entre dans le bar et s’avance vers les trois Gallegos et les met en demeure de se retirer du local. Ceux-ci acceptent en convenant d’une date pour venir charger sur des camions leurs meubles et leurs affaires. Le bar est mis sous scellé et gardé par la police qui se poste 24h sur 24h sur le trottoir. Le 23 juin, les camions arrivent au matin avec les Gallegos pour monter, chaises, tables, comptoir, mais aussi les cadres, les objets qui ont fait pendant près de 50 ans l’histoire du bar. Les assiettes, verres et couverts suivent, bocaux d’olives, les jambons sont montés un à un, une vingtaine de fidèles sont là pour leur prêter main forte. Les Gallegos sont abattus et la dernière phrase recueillie ce jour là par la presse de Pepe alors âgé de 70 ans est « je rentre en Espagne ! » Jose Miñones est décédé en avril 2009, les deux autres Gallegos Manolo et Jose Trillo sont toujours à Buenos Aires. |
Février 2007 : Agustín Souza et la Réouverture du Britanico : Toute l’année 2006, la police surveillera les abords du local, les rumeurs les plus farfelues passeront d’oreilles en oreilles. « Ils vont ouvrir un Mac Donald ! » « Ce sont les chinois qui ont acheté, ca va être un supermarché ! » … Début 2007, un nouveau locataire signe un contrat pour le local, ni chinois, ni américain, c’est un argentin, Agustín Souza, il va rouvrir le bar en y apportant des modifications et s’engage à ne pas changer ni l’esprit ni la structure. La cuisine, les toilettes, la ventilation et les sols ont été refaits entièrement pour les mettre aux normes de sécurité et d’hygiène. Le mercredi 07 février 2007, le Britanico rouvre ses portes ! A nouveau ouvert 7 jours sur 7, et 24h sur 24h. Lui, sa famille et entouré d’une dizaine de mozos, ils continuent l’histoire du Britanico. |
Malgré la rénovation le bar "Britanico" est toujours un café fort sympathique et agréable à fréquenter. De plus, connaitre son histoire, c'est le valoriser encore plus. Aujourd'hui, ce bar est ancré dans le quartier de San Telmo et on sait qu'il ne pourra plus jamais disparaître. A en juger par les nombreuses pétitions et les nombreux groupes facebook créés lors de la menace de fermeture, le gouvernement ne pouvait que réagir. Lui donner un statut de « site historique » ne peut que conforter son interet. Même s’il a un peu perdu de sa clientèle bohème, le Britanico reste un café où il fait bon de se poser un moment et de ne pas avoir peur de converser avec les autres tables. Les rencontres se font naturellement, et les clients sont toujours aussi bavards ! Une petite vue imprenable sur le parc Parque Lezama, une touche de verdure dans un San Telmo parfois un peu trop gris et de suite on se sent emporté par un décor qui nous transporte dans un autre temps. Miroirs, lampe-ventilateurs, vielles tables et chaises branlantes, de quoi s'y sentir presque comme à la maison. Une halte pour y boire un verre car la cuisine n'y a jamais été son fort (même du temps des Gallegos), alors peut etre y prendre un apéritif, une boisson ou un café et se chercher un vrai restaurant ailleur pour se restaurer. Meme si les Gallegos sont partis avec leurs souvenirs et leurs objets, Agustin Souza a su toutefois recréer un cadre ancien ! Cadres accrochés aux murs et exposistion de livres des écrivains habitués au bar, et quelques vieilles photos du quartier pour nous remetre dans l'époque. La casquette d’un « Taxista » coincée entre deux bouteilles de whisky nous rappelle que ce bar est ouvert toute la nuit et qu’il est très apprécié des "tacheros". Il suffit de demander à Oracio, un des habitués, de vous raconter l’histoire (ou son histoire) pour vous plonger dans une conversation de deux heures. "Tu vois cet homme là bas, c’est un photographe de renom !". Quelques anecdotes du temps de la fermeture se mèlent aux claquements des assiettes et des verres. |
Vidéo : Le Bar Britanico. 2 mn 02 s. (2009). |
Nouvelle fermeture en août 2014 et ouverture en novembre 2014 :
Agustin Souza n’aura pas duré longtemps à la tête du Británico ! (2007-2014) Aout 2014, il jette l’éponge, il n’aura pas su relancer l’affaire. Pas simple de passer derrière le Manolo ! Location trop chère, pas assez de public, mais comme la qualité n’avait jamais pu atteindre celle offerte du temps de Manolo, il fallait s’y attendre. Les plats plus que moyens tirant vers le bas et le service plus que défectueux avaient réussit à décourager les plus fervents défenseurs d’un des lieux les plus sacré de San Telmo à venir s’y désaltérer. Impossible de remettre donc à flot économiquement l’endroit, il perd plus qu’il ne gagne et préfère abandonner ! On redescend donc à nouveau les persiennes et les habitants du coin s’interrogent ! On apprend rapidement qu’une nouvelle équipe est sur le coup et que le bar va renaitre au plus vite. En effet, le nouveau locataire ne se fera pas longtemps attendre ! Le lundi 10 novembre 2014, le Británico ouvre à nouveau ses portes. Il sera resté donc fermé presque 3 mois. Cette fois ci, les « nouvos »locataires sont des Argentins (la famille Aznarez) d’origine espagnole ayant déjà eu en charge des bars et restos. Ils connaissent donc la partie et espérons que ceux ci arrivent à mettre a flot les lieux en redonnant au Británico son ambiance des grands jours, quand celui-ci était devenu l’incontournable des alentours du Parque Lezama. Je parle de la grande période des années 1960-1980 quand il était à la charge des trois frères « los Tres Gallegos » avec Manolo a la tête. Bon, ca y est cette fois ci, je peux donc vous inviter à y passer à nouveau ! Petite indication : A deux pas de la, sur l’Avenida Caseros quelques restaurants se sont ouverts les dernières années et commencent a former un « nouveau pole gastronomique » comme on dit ici. Mêlez donc l’utile a l’agréable, avec apéro au Britanico et déjeuner ou diner sur l’Avenida Caseros ! |
Fiche Technique : Ce café situé à l’angle de la rue Brasil et de la rue Defensa juste en face du Parque Lezama dans le quartier de San Telmo. Il est ouvert 24h sur 24 et tous les jours. Il est idéal pour y boire un café, ou pour y manger quelques empanadas sur le pouce entouré de chauffeurs de taxi, d’artistes, de touristes de passage ou de journalistes. Un passage par le café Britanico permet finalement de ressentir pleinement l’ambiance d’un vrai café ancré dans la culture et surtout l’histoire de Buenos Aires. C’est un retour dans le passé, au cœur de ce qui caractérise pleinement la culture porteña. |
Les conseils du Petit Hergé : C’est un bar, pas un restaurant, ou alors comme on dit ici uniquement pour y manger des minutas ! (milanesas, empanadas et frites). On y va « comme ça », rien de formel, c’est plus pour y soulager ses pieds quelques minutes et se souvenir de ses mois de lutte la tête en l’air et l’esprit vagabond, le verre d’un Fernet-Coca à la main ! Il a retrouvé bon nombre de ses anciens clients. Evitez les samedis et dimanches en journée remplis de « bermudas-tong-brésiliens », en semaine plus authentique, et le soir ou au milieu de la nuit, c’est un autre monde ! A faire, à voir surtout que vous connaissez maintenant l’histoire des luttes de ce lieu qu’il aura gagné à exister. "Los ojos del Británico no se cierran". |
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