Mise à jour : 29 décembre 2011. Article écrit par Elodie Charrier.

Antonio Domingo Bussi :

 

Près de 8 ans après avoir passé sa détention à domicile, Antonio Domingo Bussi s’est éteint le 24 Novembre 2011 dans la clinique de cardiologie de San Miguel de Tucuman. Cet ancien général de l’armée argentine, ayant été deux fois gouverneur de la province de Tucuman, est surtout très connu pour son implication dans la dite « guerre sale ». Il est tout autant mêlé à de nombreuses disparitions et meurtres qu’à la direction même de nombreux camps de détention clandestins ou disparurent des centaines de personnes dans le nord-ouest argentin au milieu des années 70. Pas trop étonnant que de vieux dossiers oubliés ressurgissent au moment même de sa mort, et que les surnoms fusent : le nazi tucumano, El Mussolini de Tucuman..etc...

Vidéo : Antonio Bussi 2 mn 31 s

L'Ecole américaine et française :

Antonio Domingo Bussi, né en janvier 1926, à Victoria dans la province d’Entre Rios est issu d’une famille d’origine piémontaise. Apres ses études primaires et secondaires, il aide son père, boucher de profession, en effectuant les livraisons à domicile à l’aide de sa bicyclette. En 1944 il entre au « Colegio Militar » de Tucuman (le colegio dispensant ici des cours de type universitaires). Il en sort en 1947, et 10 ans plus tard il est reçu diplômé de la « Escuela Superior de Guerra ». Il se marie alors avec Josefina Bigolio, devient professeur au « Colegio Militar », et père de 4 enfants.

Dans les années 60, Antonio Bussi est très influencé par les théories militaires alors en vogue aux Etats Unis, notamment celles concernant la guerre antirévolutionnaire, dont il entend parler à l’école de Fort Leavenworth dans l’Etat du Kansas. Fasciné par ses théories il part deux mois au Vietnam en 1969 comme « observateur argentin » afin d’en apprendre plus sur la mise en œuvre de cette théorie. Les théories de luttes antisubversives, de combats urbains et de renseignements sont alors très en vogue dans l’ambiance de guerre froide et de lutte anticommuniste. Fruit de l’enseignement dite aussi de « l’école française » C’est en rentrant de ce voyage qu’il accède au poste de dirigeant et qu’il met en pratique ce qu’il a appris lors de l’ "Opération Independencia". 

El Operativo Independencia :

"El Operativo Indepedencia” est le nom de code de l’opération militaire menée dans la province de Tucuman contre “L’Ejercito Revolucionario del Pueblo” (ERP, l’armée révolutionnaire du people). Cette opération contre ce groupe révolutionnaire guévariste, débute en 1975. Il a pour but d’endiguer la volonté des guévaristes à faire d’une partie de la province de Tucuman un Etat indépendant. Cette opération est considérée comme la première opération militaire de grande ampleur de la dite “Guerre sale"

C'est à cette époque que les centres de détention clandestins de la province de Tucuman sont sous ses ordres. On compte 33 CCD comme ils sont surnommés ici (Centres Clandestins de Détention) dans la seule province de Tucuman. Les détenus étaient ensuite tués puis enterrés dans les fosses communes. Les récentes recherches et fouilles menées à partir de 2003 dans la région de Tucuman ont montré qu’il en existe un très grand nombre. Les fosses auraient commencé à être utilisées en 1975, sous le gouvernement de María Estela Martínez de Perón, et auraient continué à fonctionner pendant la dictature militaire, et ce jusqu’au début des années 1980. Le premier endroit à servir de lieu de détention a été l’école Diego de Rojas à Famaillá. Dans ce seul “camp” seraient passés près de 1500 détenus. Puis Bussi décide d’intensifier la répression et construit des camps similaires un peu partout dans la province de Tucuman.

L'ancien et tristement connu “Arsenal Miguel de Azcuenaga” était également sous les ordres d’Antonio Bussi. Ce camp est devenu plus « célèbre » que les autres car il est réputé pour avoir été un des plus cruels que la région ait connu, avec la préfecture de police, la prison de Villa Urquiza et le CDD de Ingenio Nueva Bavieria.

En effet, les détenus n’y étaient pas simplement enfermés, tués, puis jetés dans les fosses communes, mais ils y étaient torturés selon les mêmes méthodes. Ils étaient amputés, brulés vif, ou encore battus à mort. Et Antonio Bussi ne manquait pas de cruauté. Il était au contraire le premier à montrer l’exemple a ses subordonnées, abattant de sang-froid le premier des détenus à être brulé et enterré dans une des fosses communes de ces CDD.

 Video : El operativo Independencia. 6 mn 30 s.

 

Gouverneur de Tucuman :

En 1976, Antonio Bussi devient gouverneur de Tucuman par obligation dictatoriale. Sa gestion de la province à cette période est réellement marquée par l’autoritarisme et la répression. Bussi lance la province dans un gigantesque plan de travaux publics. Cela lui permet d’éviter au maximum tout type de rébellion, et de palier au chômage ambiant. L’économie de la province a en effet était très gravement touchée par la crise économique dite « crise du sucre » apparue dans les années 1965. Grace à ces grands travaux de nombreuses installations sportives sont construites, mais parmi ces réussites on retient surtout un échec. Faisant fi des avis des géologues et urbanistes, il décide de construire des terrains de football et de basquet près du lit du Rio Sali. Or quelques années après, lors des crues du Rio de 1981 et 1982, les stades sont bien évidemment inondés. Bussi réussit également grâce à ses travaux publics à attirer quelques entreprises dans la région de Tucuman. Ainsi s’installe l’usine de camion Scania par exemple.

L'administration d’Antonio Bussi est également très connue pour ses mises à l’écart successives des communautés les plus pauvres de la ville de Tucuman. Bussi fait ériger des murs, afin que les quartiers pauvres (les « villas ») ne soient plus visibles depuis le centre-ville. Il choisit également d’expulser les mendiants et autres habitants de la rue en haut des collines entourant la ville lors de la visite du dictateur Videla dans la province de Tucuman. Son mandat de gouverneur prend fin en 1980, mais Contrairement à toute attente, les habitants de Tucuman semblent lui apporter son soutien. Cela s’explique notamment par la peur qu’ils éprouvent face au déploiement de la dictature.

Bussi occupe les postes de directeur national de la Gendarmerie et commandant des corps numéros 3 à Cordoba et 1 à Palermo, puis se retira en 1981. A cette date, il est également nommé Général.

Photo : Bussi en 1979 lors d'une revue des corps juvenils de Gendarmerie Nationale. (GN Infantil) 

La loi du Punto Final :

Au retour de de la démocratie, Bussi fut accusé, aux côtés de dizaines d'autres militaires, de violations des droits de l'homme. Les premières années suivant l'accession au pouvoir du radical Raúl Alfonsín, en 1983, étaient marquées par l’enchaînement des procès et des arrestations. Cependant la loi appelée “Ley de Punto Final” empêcha son jugement. La loi 23 456 du "Point Final" (Punto Final), présentée par les députés Juan c. Puglieses Carlos Bravo et Antonio Macris est promulguée le 24 décembre 1986, sous la présidence de Raúl Alfonsín (UCR). Elle a pour but d’interdire les poursuites au pénal contre les crimes commis par les militaires lors de la dictature argentine. Alors que Bussi était inculpé dans plus de 800 affaires distinctes, pour privation arbitraire de la liberté, torture, homicide et falsification de documents, il est donc Amnistié donc en 1986, le Congrès attendra ensuite 2003 pour déclarer nulle la loi de Punto Final et ressortir les dossiers contre Bussi.

Dessin : J'ai coupé un arbre, tué un fils et brulé un livre. Que puis je demander de plus à la vie ?

Video : La representante des Madres de Plaza de Mayo de Tucuman ne regrete pas la mort de Bussi. 1 mn 27s.

Sa vie politique durant la démocratie :

C'est donc réellement en 1987 qu’Antonio Bussi fait sa réapparition dans la vie politique. Il se présente comme candidat de la « Defensa Provincial Bandera Blanca » au poste de gouverneur. Il perd mais obtient cependant un nombre honorable de votes avec ce parti de mouvance conservatrice. L’année suivante il fonde son propre parti la « Fuerza Republica » (Force Républicaine).  En 1989 il est élu député national, mais refuse le poste, en 1993 il l’occupe mais est cependant demis de ses fonctions pour avoir menti devant la Chambre des députés. Il est à nouveau élu gouverneur de Tucuman en 1995 pour une durée de 5ans. Cependant un scandale vient très vite mettre fin à sa carrière politique battant a nouveau son plein. Le quotidien argentin Clarin révèle en effet que Bussi, sa femme et ses fils, possèdent a eux seuls 4 comptes en Suisse.  Bussi aurait négligé de déclarer 100 000 dollars possédés en Suisse.

Ces comptes suisses lui valurent les admonestations du tribunal d'honneur de l'armée, en mars 1998. Il perd alors son titre de Général.En raison de son active participation à des crimes contre l’humanité, Bussi se voit empêché de siéger à deux reprises. La première fois lorsqu’il est élu député national, puis lorsqu’il est élu maire de Tucuman.

Arrestation et jugement :

Le 15 octobre 2003, il est arrêté et mis en examen dans plus de 600 affaires. Elles sont de tous types : du détournement de fonds, aux plus graves crimes contre l’humanité. Après avoir été détenu dans un lycée militaire jusqu’en décembre 2003, il bénéficie d'une surveillance à domicile en raison de son âge et de son état de santé. La cour d'appel fédérale de Tucumán déclare Bussi coupable et l’inculpe en 2004 pour crimes contre l'humanité. Son jugement débute le 28 novembre 2007 en compagnie de l'ex-commandant de la junte militaire argentine Jorge Rafael Videla. Il est enfin condamné le 28 août 2008 à une peine de prison perpétuelle, pour la disparition forcée du sénateur Guillermo Vargas Aignasse, mais il obtint le droit de purger celle-ci à domicile. Les deux militaires furent condamnés en tant que co-auteurs de crimes contre l'humanité, violation de domicile, privation arbitraire de liberté, tortures réitérées, disparitions forcées, homicides aggravées, association illicite et génocide.

 Cet homme aux surnoms aussi nombreux que ses fautes et ses vices, surnommé « Le boucher de Tucuman », “El loco Vera”, “Pachequito” ou encore « El loco Peron », a cependant presque toujours était soutenu par le peuple de Tucuman. Il perdit une élection mais en gagna 8 autres dans sa province. Sa carrière politique ne pris vraiment fin que lorsqu’il menti a propos du compte qu’il détenait en Suisse. C’est à ce moment que la majeure partie du peuple de Tucuman se détourne de lui. Il fut destitué de son grade de Général pour « Faute grave sur l’honneur » et on dut même le supplier en public afin qu’il arrête de pleurer. Et c’est bien ce même homme qui jusqu’à sa mort a défendu la dictature comme une chose légitime. S’il est pleuré par peu de personnes en raison des nombreuses atrocités qu’il a commises, nombreux sont ceux qui lui reconnaissent des qualités, ou qui au moins lui sont reconnaissants du travail qu’il a effectué pour la ville de Tucuman. Eloignant les communistes alors que le monde entier est obnubilé par la guerre froide, et faisant de Tucuman une ville paisible et tranquille pour la plupart de ses habitants, sa mort sonne néanmoins la fin d’un homme cruel qui a été à l’un des principaux représentant d’une terrible époque.

Photo : Antonio Bussi durant son procès.

A lire dans le Petit Hergé :

L'ERP à Tucuman  - L'ERP de Tucuman.(Septembre 2010). Tucumán est la ville qui a le plus souffert de la répression armée contre les guérillas communistes dans les années 1970 (surtout entre 1974 et 1977). La ville compte le plus grand nombre de disparus et a connu l’ouverture du premier "camp de détention" argentin. Certains parlent même du début d’un génocide. Prémices de la dictature (nous sommes encore sous le gouvernement de Isabel Peron), les violations des Droits de l’Homme qui y eurent lieu sont encore de douloureux souvenirs pour les habitants. Une guerre n'est jamais propre, de la part de l'ERP ou de l'armée, les operations menées furent brutales et sans merci...(Lire la suite).

San Miguel de Tucumán : Historique- San Miguel de Tucuman, l'historique.(Avril 2011).La ville de Tucuman est aujourd’hui la plus importante ville du Nord Ouest Argentin, deux fois plus peuplée que Salta, bien moins touristique que cette dernière, la municipalité a néanmoins depuis 2007 mis en place une politique de revalorisation du patrimoine historique de la ville avec transformation de la calle Congreso en rue piétonne au pied de la Casa de la Independencia, et nettoyage des façades des principales demeures du centre ville. Déménagement de l’ancienne Terminal de bus et revalorisation de son quartier. Aujourd’hui la ville de Tucuman est une étape touristique intégrant le circuit du NOA...(Lire la suite)

Tafí del Valle (Tucuman)- Tafi del Valle.(Juin 2008). Tafí del Valle est le principal centre touristique de la province de Tucumán et la porte d’entrée vers les Vallées Calchaquíes.  Ancien territoire de la culture Tafí suivie par d’autres avant l’arrivée des espagnols, ce village s’est créé autour de l’estancia jésuite fondée à cet endroit en 1718. Les jésuites furent chassés en 1767, et le village retomba en sommeil pendant deux siècles jusqu’en 1943, date à laquelle un chemin fut tracé entre Tafi et la vallée vers Monteros...(Lire la suite).

 

Ciencias Morales ou l'oeil invisible- Ciencias Morales (Juin 2011).L’Argentine qui a gagné la coupe du monde 1978, l’Argentine de Mario Kempes et des généraux est à bout de souffle. La société étouffe sous l’épaisse bâche tissée par six ans de dictature, et, pour reprendre – à peu près –  une formule de l’historien Tulio Halperin Donghi (à propos d’une autre époque, il est vrai), « dérive en suivant un cap imprécis ». En une pathétique tentative pour la remobiliser, les dits généraux, Galtieri en tête, croient pouvoir revenir aux temps glorieux des San Martín et des Belgrano et entreprennent de faire revivre la dernière chose susceptible de colmater les fissures qui s’agrandissent : la fibre nationaliste...(Lire la suite).

Retour à l'accueil