Transformation d'un quartier et de sa délinquance (Villa Crespo - Buenos Aires)
04 oct. 2011Mise à jour : 04 octobre 2011. Article écrit par Bastien Hattiger.
L'ancien quartier centenaire de Villa Crespo se transforme : Le quartier Villa Crespo est un quartier situé au centre de Buenos Aires, entouré par les quartiers Chacarita au Nord Ouest, Palermo au Nord Est, Almagro au Sud Est, Caballito au Sud et La Paternal à l’Ouest. Ses avenues principales sont les avenues Corrientes et Scalabrini Ortiz. Il était autrefois un quartier de mélange entre conventillos en 1900 (logements collectifs pour migrants), et petite maison de classe moyenne où vivaient en harmonie un grand nombre d’immigrants aux origines diverses. Le quartier compte par exemple une importante communauté juive dénommée « Villa Kreplaj ». On trouve par ailleurs dans ce secteur beaucoup de clubs sportifs, de bars et billards et de commerces qui n’ont pas loin d’être centenaires ; parmi les édifices principaux il est possible de connaître l’historique coiffeur San Bernardo (datant de 1896), le bar et billard San Bernardo, tout comme le marché du même nom, le conservatoire Odeón, ou encore l’hôtel Imperio. Si dans les années 70, le quartier connu une certaine décroissance démographique et commerciale il retrouve désormais un fort dynamisme par l’ouverture depuis 2007 d’une multitude de boutiques de vetement. En parallèle le quartier est actuellement confronté à une recrudescence d’actes délictueux. Une situation pour le moins alarmante tant les nombreux délits se retrouvent polarisés au même endroit, sur un laps de temps réduit. En effet l’essentiel de ces actes s’étant produits depuis juillet 2011 dans la calle Castillo, entre Estado de Israel et Lavalleja. Photo : La calle Gurruchaga à Villa Crespo en plein transformation, tres peu de vieilles maisons, toute démolies en 2 ou 3 ans et remplacées par des locaux de vente de outlet. A gauche du chantier le restaurant A Los Amigos, dernier vestige de l'ancien quartier. |
Photos : Emplacement du quartier de Villa Crespo à Buenos Aires, nouveaux projets d'immeubles dans le quartier qui remplacent l'habitat individuel. Boutiques à Villa Crespo. |
L'invasion des outlets et la "Palermisation" : La cause originelle ? Depuis 2007, Le boom de l’immobilier du au développement dans une partie du quartier de boutiques de vêtements chics, et de outlet de grandes marques (par exemple dans la calle Gurruchaga il est possible de trouver entre autres les boutiques Wrangler, Laurent, Bensimon, Old Bridge, Gola, Prune ; dans la calle Aguirre les boutiques Lacoste, La Martina, New Man, Portsaid, Rapsodia, wanama, Cheeky etc.) et dans une moindre mesure de restaurants gastronomiques, impulsé depuis le quartier de Palermo. L’implantation de ces établissements à résonance forte en terme de tourisme est en train de bouleverser les habitudes de ce quartier autrefois traditionnel et très calme. Le prix du mètre carré par conséquent flambe à tel point que beaucoup d’habitants de la zone vendent actuellement leurs maisons à des prix considérables, ne pouvant plus assumer la hausse de l’impôt local, ou tout simplement partir s’installer dans un quartier plus calme. Un bouleversement si important que les agences immobilières ont voulu même changer le nom du quartier pour l’intituler « Palermo Queens », une idée vite contrecarrée par les habitants eux même défendant le nom historique de leur quartier. Certainement plus de prestige et de sources de revenus pour le quartier et ses commerçants…mais qui se transforme vite en cadeau empoisonné tant les environs deviennent en conséquence un lieu propice aux délits et le terrain de jeu favori des malfrats. Photo : La "palermisation" c'est transformer un quartier en quelques années, achats d'anciennes maisons pour les reformer en bars ou en magasins de vêtements ou tout simplement les detruire pour y construire de nouvelles boutique. L'habitat disparait, le quartier se transformant en centre commercial à ciel ouvert. Le premier quartier a en avoir fait les frais fut Palermo Viejo à Buneos Aires d'ou le nom de "palermisation". |
La zone des outlets, la nouvelle aire de jeux des voleurs ! La situation s’est détériorée quelques jours avant les primaires politiques de Buenos Aires, au milieu du mois d’Août 2011. Deux malfrats entrèrent de force dans l’appartement d’une jeune femme, la ligotèrent, pour ensuite lui voler tout ce qu’elle possédait (télévision, téléphone portable, ordinateur, etc...). Les assaillants ensuite retournèrent alors dans un autre appartement au rez-de-chaussée du même immeuble pour y reproduire le même larcin. C’est ainsi qu’ils piégèrent leur seconde victime. Selon des témoins, il y avait au moins une troisième personne en train d’attendre dans la rue afin de communiquer avec le reste de la bande par l’intermédiaire d’un talkie-walkie ; un autre complice attendait par ailleurs dans une voiture, prêt à démarrer pour s’enfuir au plus vite avec le butin. Les voisins pensaient alors à un cas isolé ; ils se trompaient car cinq jours plus tard (un dimanche), le gardien de l’immeuble, alors qu’il descendait éteindre les lumières, eut la désagréable surprise de constater que la porte vitrée donnant sur la rue était en train d’être forcée. Cette dernière fini par exploser en mille morceaux, le bruit faisant alors déguerpir les voyous à toutes enjambées. Ces cas ne sont pas les seuls à dénombrer au sein du bâtiment et encore moins dans le quartier où il est facile de dénombrer plus d’une dizaine d’actes similaires au cours des dernières semaines… Le plus commun selon las habitants étant de se lever le matin et de découvrir que toutes les vitres des voitures de la rue ont été brisées dans le but de dérober tout ce qu’il est possible de voler à l’intérieur de ces voitures (autoradio, objets de toutes sortes oubliés etc.). Dans l’immeuble dans lequel vit Madame Pablosky, les vols furent commis fin deux semaines plus tard. Cette fois ci les cambrioleurs agirent à l’aube et saccagèrent deux appartements pendant que les propriétaires étaient absents. Monica Pablosky, professeur universitaire vivant dans la rue Castillo à quelques mètres de la rue Republica de la India, estime qu’ « aujourd’hui il n’y a plus aucune différence entre l’intérieur et l’extérieur, les deux ne faisant qu’un ». Par cette phrase la professeur fait état d’un fait nouveau : le constat d’une période de violence ou les voleurs ne se contentent plus d’agir dans les rues et n’hésitent plus à pénétrer au sein des propriétés, violant ainsi sans le moindre scrupule l’intimité des citoyens. « Nous avons perdu le droit à la libre circulation. Et pas seulement dans la rue ! Mais aussi au sein de nos propres maisons » reprend-elle. C’est ici que prend véritablement naissance le sentiment d’insécurité, les habitants ne se sentant alors nulle part à l’abri. Le bâtiment dans lequel Madame Pablosky vit est l’un des trois bâtiments qui furent attaqués au cours du dernier mois au sein de la même cuadra (portion de bloc d’immeubles). Mais comment font ces malfrats pour entrer dans les immeubles ? C’est une des questions que se posent quotidiennement les habitants. Lors de certaines infractions les serrures ont été forcées au préalable, mais dans un bon nombre d’autres cas il s’agit certainement d’un travail de professionnel car des copies des clés originales ont vraisemblablement été réalisées par les voleurs eux-mêmes. |
Une situation qui est donc pour le moins extrêmement préoccupante, à tel point que deux réunions tinrent place en septembre 2011, l’une avec participation de la Police ainsi que des représentants du Ministère de la Sécurité de la Nation. Le rendez-vous avait principalement pour but de discuter des problèmes d’insécurité dans le quartier, faire un diagnostic de la situation mais également définir les priorités d’actions dans la perspective de trouver au plus vite des solutions. La réunion prit alors la tournure d’une véritable catharsis pour les vingt cinq habitants du pâté de maison présents aussi sur place. Un débat qui devint plus ou moins chaotique et houleux, oscillant d’un thème à un autre, bien que la principale cause de réclamation résidait dans l’insuffisance latente de policiers au sein du quartier malgré la présence d’un nombre considérable de bandes de spécialisés dans le vol. La réponse faite par la police fut principalement un manque d’effectifs ne permettant donc pas de couvrir la totalité de la juridiction. Les zones de délits se déplaçant sans cesse, le commissaire résuma alors la situation : « nous courrons après le délit ». Le mot « après » prenant finalement différents sens tant l’inefficacité de la police, possédant toujours un temps de retard, est criante… La réponse d’une habitante du quartier est sans appel et dénote à merveille l’état d’esprit envahissant chacun des habitants du quartier : « Nous ne demandons pas un policier à chaque coin de rue, mais nous devenons réellement paranoïaques, nous vivons dans la peur ». Une illustration parfaite intervient dans le témoignage de Cristina (un témoignage recueilli par le quotidien Clarin) qui s’exclame « […] c’est surtout vrai le matin, ils nous regardent tout le temps, ils nous étudient, ils connaissent chacun de nos faits et gestes ». Une phrase tout droite sortie d’un film de sciences fiction… Pour l’anecdote Cristina a d’ailleurs choisi de déménager, le quartier ayant perdu, selon elle, « son identité ». |
Quelles solutions pour faire baisser la délinquance à Villa Crespo ? L’affaire reste à suivre et s’inscrit à merveille dans le contexte actuel et le plan draconien de lutte contre l’insécurité dans Buenos Aires impulsé par le président de la capitale argentine fraîchement réélu, Mauricio Macri. Le thème de la sécurité étant en effet un des principaux domaines abordés par la politique de la ville avec le déploiement toujours plus important de la police métropolitaine mais aussi l’engagement de doter tous les parcs et les places de Buenos Aires de caméras de surveillance avant Juin 2012, 1000 caméras ayant déjà été installées dans des lieux stratégiques, 1000 autres étant prévues pour la fin de l’année. Maintenant ce plan miracle du « tout video » peut il avoir une incidence sur la délinquance d’un quartier bien particulier comme Villa Crespo ?
Graphique : En matière de vols de véhicules, la deliquance suit aussi les autres types d'agression. Derniers chiffres concernant l'ensemble de l'année 2010. Bien qu'il y ait un leger recul sur Villa Crespo, Le quartier est tout de même le 3ème à Buenos Aires où il y a le plus de vols de voitures. Les quatre autres étant à plus de 6% de l'ensemble des vols sur Capital Federal étant Retiro, Flores, Parque Chacabuco et Palermo. |
L'avis du Petit Hergé : La criminalité choisissant toujours les quartiers où il y a plus de chance de pouvoir voler, les voleurs ont eu toujours intérêt à sévir dans les quartiers riches que dans les pauvres. Villa Crespo s’étant totalement « palermisé » en cinq ans, les voleurs ont largement maintenant débordé le secteur de Palermo pour allez sur Villa Crespo. Si ce type de criminalité était connu des habitants et des gérants de restaurants de Palermo, pour ceux de Villa Crespo c’est une nouveauté. Il est certain que maintenant ils doivent s’y habituer, car avec une augmentation des prix au m2 et l’arrivée de toute une nouvelle population bobo les samedis et dimanches pour faire emplettes dans les Outlets, les voleurs ne sont pas prêts à laisser ce nouveau quartier. Quand au commissariat de Villa Crespo, totalement dépassé par la transformation du quartier, le rôle de cette police n’est plus de surveiller les petites maisons ou tout le monde se connaissait mais aujourd’hui superviser des boutiques chaque fois plus nombreuses et une foule de passants et de consommateurs venant des autres quartiers. En fait le principal problème (si on peut parler de « problème ») c’est la transformation trop rapide d’un quartier, économiquement et socialement que les services de la ville, tout comme les habitants n’ont pu suivre. Pour eux, Il faut un temps d’adaptation, par malheur, les voleurs s’adaptent plus vite ! Photo : La nouvelle police Metropolitaine de Buenos Aires se montre à Villa Crespo. Operations médiatiques servant à rassurer les commerçants ou réelle décision d'éradiquer la delinquance ? |
A lire dans le Petit Hergé : - Villa Crespo Outlet.(Août 2010). Un nouveau quartier en pleine transformation. Il regroupe maintenant les outlets de toutes les grandes maqrues présentes en Argentine. C'est aussi un profond changement pour ses habitants qui voient perdre une certaine tranquilité pour ce faire envahir par des consommateurs tous les week-ends...(Lire la suite).
- Gouvernement de Tabare Vasquez en Uruguay entre 2005 et 2010.(Septembre 2010). Le 31 Octobre 2004, Tabaré Ramón Vázquez Rosas devient le premier président socialiste de l'Uruguay, dans une Amérique du Sud qui bascule pays par pays à gauche. Il est également le premier président de l'Uruguay n'appartenant pas à un des deux partis « traditionnels » de droite (partis Colorado et Blanco). Officiellement proclamé président le 8 Novembre 2004, il prend ses fonctions le 1er Mars 2005...(Lire la suite). - L'affaire Botnia entre Uruguay et Argentine. (Septembre 2010). Le 20 avril 2010, la Cour Internationale de Justice (CIJ) a rendu son verdict dans l’affaire de l’usine de pâte à papier Botnia, une affaire qui oppose l’Argentine et l’Uruguay depuis 2003. Buenos Aires réclamait le démantèlement de l’établissement, construit par Montevideo sur le fleuve Uruguay qui sépare les deux Etats. La CIJ a finalement estimé que Montevideo aurait dû consulter Buenos Aires avant de bâtir l’usine, mais aussi que l’Argentine n’avait pas pu prouver que Botnia était véritablement nuisible à l’environnement...(Lire la suite). - Un futur rose pour le tourisme gay en Argentine.(septembre 2010). La loi autorise les mariages de couples étrangers, même si ceux-ci ne sont pas reconnus dans leurs pays d’origine. Beaucoup de couples viennent donc se marier en Argentine, et en profite pour y passer leur lune de miel : Buenos Aires figure dorénavant dans la liste des destinations matrimoniales gays mondiales. Moins chère, dotée d’une ambiance européenne et d’un fort dynamisme de la vie nocturne et culturelle, Buenos Aires est dite la nouvelle capitale du tourisme gay en Amérique Latine...(Lire la suite)
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