Les juifs en Argentine
11 mai 2012Mise à jour : 11 mai 2012. Article écrit par Leo Sounigo et Le Petit Hergé.
«La légende du Juif errant est le symbole des plus hautes aspirations de l'humanité, condamnée à marcher toujours sans connaître le repos », écrit George Sorel. Près à partir du jour au lendemain, en raison des persécutions auxquels il doit faire face, l’image du peuple juif semble aujourd’hui inséparable du symbole du juif errant ; ce juif qui erre, qui vagabonde, de pays en pays, fuyant tout type de persécutions : politiques, sociale et religieuse. En ce sens, il semblerait que l’Argentine et la ville de Buenos Aires notamment, a été et est encore, une terre d’accueil importante pour la communauté juive : avec plus de 80 synagogues dans toute la ville, un Mac Donald Kasher, la ville de Buenos Aires apparaît aujourd’hui comme la deuxième communauté juive la plus importante. Alors qu’en est-il exactement ? |
Photo : Mariage juif célébré dans la synagogue Yesod Hadat de la calle Lavalle à Buenos Aires. |
La Jewish Colonization Association en Argentine : Il faut alors mentionner l’œuvre colossale du baron Moritz von Hirch. Ce financier et philanthrope a en effet largement contribué à la création de la Jewish Colonization Association en 1891 à Londres, qui aura pour but unique de favoriser l’émigration des juifs originaire de Turquie ou de Russie, qui étaient soumis à une vague de pogrom à la fin du 19ème siècle, suite à l’assassinat du tsar Alexandre II. En ce sens, une partie de sa fortune (50 millions de francs) sera destinée à organiser l’immigration de ces juifs vers l’Argentine. Le but du Baron de Hirsh était donc bien clair et largement mentionné, dans la chartre 3 de l’association qu’il dirigeait : « aider et favoriser l'émigration des Juifs d'Europe ou d'Asie, principalement ceux des pays dans lesquels ils sont soumis à des impôts ou à des statuts spéciaux ou à d'autres incapacités, vers d'autres parties du monde ». Favoriser l’émigration des juifs européens qui connaissent une situation difficile, dans des pays où ils pourraient jouir de droits économiques et sociaux : tel était l’objectif principal de l’association. Concrètement, cette association attirait les juifs européens, en leur offrant des terres à cultiver en Argentine. En 1896, à la mort du Baron, c’est environ 1000 familles qui vivaient sur 1000 kilomètre carrés de terres en Argentine. Ce sont donc toutes ces actions menées à bien par la Jewish Colonization Association, qui ont permis d’attirer de nombreux juifs en Argentine, donnant ainsi naissance à une véritable communauté. De Hirsh à Henry Joseph, la communauté juive de Buenos Aires, s’est donc vu entrainé par plusieurs leaders, qui ont su à des moments donnés, entrainé cette communauté, en la faisant, vivre et vibrer. Henry Joseph, peut en effet être considéré comme le premier rabin de la ville de Buenos Aires. Arrivé à la fin des années 1850 en Argentine, il est à l’initiative de l’origine de la communauté : entre 1883 et 1886, il enregistrera huit mariages, vingt six naissances, mais aussi cinq décès parmi la population croissante de la ville. Photo : Vers 1900, à Moise Ville dans la province de Buenos Aires. Une des premieres colonies juives du pays. |
Vidéo : La ville juive de Rivera est fondée en 1900 dans la province de Buenos Aires. Film de 2007. Un exemple de la colonisation de la pampa par des juifs fuyant la Russie et la Pologne. On les appelle les gauchos juifs. |
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A partir de 1906 et jusqu’à 1912, la communauté juive augmente à raison de 13.000 immigrants par an. Toujours fuyant l’Europe de l’est mais aussi le Maroc et l’Empire Ottoman à la veille de la Grande Guerre. En 1920, déjà 120.000 juifs en Argentine. A partir de 1928, ce sont les juifs allemands qui débarquent et surtout à partir des premiers lois nazis en 1933. On peut estimer que durant ces années d’entre deux guerres arrivèrent 45.000 juifs par le port de Buenos Aires, et dont la moitié de manière illégale. Illégale car entre temps à partir de 1938, furent envoyée dans toutes les ambassades argentines à travers le monde, une circulaire maintenue secrète, qui ordonnait aux consuls argentins de refuser les visas aux émigrants en situation « d’indésirables ou d’expulsables » dans leur propre pays. Ce qui concernait essentiellement les juifs. L’émigration juive continua cependant de manière illégale ou par la mollesse par laquelle certains consuls voulaient appliquer cette circulaire. A partir de la fin de seconde guerre mondiale, l’émigration juive décroit en Argentine. (L’appel vers Israël est trop fort). Alors qu’en même temps, l’antisémitisme argentin croit avec des actes de vandalisme contre les synagogues, profanation de cimetières et aussi bagarres à chaque rassemblement juifs. Les années 50, furent « chaudes ». Le gouvernement péronistes ne fut jamais l’allié des juifs argentins, sans pour autant sombrer dans l’antisémitisme, et laissèrent se monter des partis d’extrême droite sous les yeux bienveillants des péronistes, comme le Mouvement Nationaliste Tacuara (MNT : Movimiento Nacionalista Tuacuara) qui axait toute son idéologie sur des idées antisémites, anticommunistes, catholiques, fascistes et nationalistes. L’après Perón et les troubles de la fin des années 50 et des années 60, ne purent qu’accentuer ses mouvement qui se montrèrent de plus en plus pressant sous l’arrivée de nouveaux gouvernements militaires. Le MNT se dissout en 1965, et certains de ses membres iront rejoindre des groupuscules paramilitaires et para policiers qui serviront aux gouvernements militaires lors des répressions des années 70. Photo : Dans les rues de Buenos Aires |
Les années Menem (1989-1999) furent aussi les années ou les deux attentats de l’histoire argentine les plus sanglants furent réalisés contre la communauté juive de Buenos Aires. Tout d’abord contre les intérêts de l’Etat d’Israël en Argentine en mars 1992, en faisant exploser l’ambassade d’Israël dans le quartier de Retiro et faisant 32 morts, et puis en juillet 1994 directement contre les argentins de confession juive en faisant sauter le bâtiment abritant les services de l’Association de la mutuelle israélite argentine (AMIA) où 84 argentins perdirent la vie. Ces deux attentats ne furent jamais officiellement élucidés, mais de gros doutes furent portés sur des personnes gravitant dans des services de police. L’enquête préférant voir la main de service de l’étranger comme l’Iran. Photo : En juillet 1994, l'attentat contre l'AMIA. |
Video : En anglais et en espagnol, un court reportage sur les attentats de l'ambassade d'Israel à Buenos Aires (1992) et de et de l'AMIA (1994). |
Photos : Mariage juif à Buenos Aires. Photos de Emiliano Rodriguez |
En raison de cette ambiance pesante contre les juifs en Argentine, mais aussi surtout en raison de la crise économique qui frappa l’Argentine entre 1999 et 2002, on estime que près de 5.000 juifs argentins quittèrent le pays pour s’installer en Israël. Mais la crise économique d’Israël en 2003 ralentit le départ et le mouvement s’inversa pour voir la plupart revenir à Buenos Aires à partir de 2004.(article du Clarin 15 février 2004). Depuis la fin de la crise argentine, la tension antisémite en Argentine a baissé, peut être remplacée par un racisme des argentins (de toutes confessions confondues) envers les boliviens, les péruviens et les paraguayens. Comme quoi on trouve toujours plus « pauvre » que soi à haïr, ou plus « étranger » que soi à se méfier. Photo : "Domingo en Once" d'Alex Dukal. Graphiste argentin né en 1966 à Puerto Madryn . Son site. |
Aujourd’hui les juifs argentins sont 165.000 à Buenos Aires et dans les environs, 70.000 autres sont essentiellement installés dans les villes de Rosario et de Córdoba. Enfin 20.000 vivent en milieu rural dans les provinces qui ont compté le plus de fondations de colonies juives dans les années 1870-1900, à savoir dans les provinces de Buenos Aires, Entre Rios, Santa Fe. Au total vivent 250.000 juifs argentins dans le pays. Dans la ville de Buenos Aires, ils sont présents dans les quartiers de Once, Abasto, Villa Crespo, Belgrano et de Barracas. 70% sont ashkénazes (originaires d’Allemagne, Pologne, Russie) et 30 % séfarades (originaires d’Espagne, Maroc, Turquie, Syrie, Afrique du Nord). Photo : Fête de Iom Haatzmaut au Luna Park de Buenos Aires en 2012 |
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