Système d’approvisionnement en eau de Buenos Aires
05 mai 2012Mise à jour : 05 mai 2012.
Le problème de l'eau à Buenos Aires au milieu du XIXème siècle : De la fondation de la ville de Buenos Aires jusqu’à la moitié du XIXème siècle, la seule manière de s’approvisionner en eau était de la chercher directement dans le Rio de la Plata pour ceux qui habitaient proche ou de l’acheter aux porteurs d’eau (el aguatero) qui parcouraient les rues. Le 04 avril 1869, fut la première fois que de l’eau filtrée passa d’une canalisation directement à un utilisateur. En fait la décision fut rapide car c’est seulement deux ans auparavant en 1867, que le gouverneur de la province de la ville (il n’y avait pas de maire de la ville), Adolfo Alsina proposa à l’assemblée Nationale de débloquer des fonds afin de doter la ville d’un système d’alimentation en eau. Il fut rapidement adopté car Buenos Aires venait d’affronter en 1867 une épidémie de choléra. En 1868, les projets sont acceptés et on lance la construction d’un centre de pompage près du Rio de la Plata dans le quartier de Recoleta, d’un système de canalisation pour alimenter 480 pâtés de maisons et d’un réservoir à eau sur la Plaza Lorea. Il était temps, malgré ce début prometteur, la ville essuya cette même année 1869 une épidémie de typhoïde, suivie deux ans plus tard par la terrible épidémie de fièvre jaune qui tua 10% de la population porteña. Cinq années de course effrénée menée entre la nouvelle politique d’hygiène et les épidémies. Gravure : Un aguatero et sa chartette tirée par les boeufs à Buneos Aires durant l'époque coloniale. Distribution d'eau. |
Photos : Deux aguateros et leurs charettes dans la ville de Buenos Aires. |
De l’époque coloniale à 1869 :
El Aguatero vendait à domicile l’eau qu’il prenait directement dans le rio. Depuis l’époque coloniale l’aguatero était souvent noir, il avait été esclave d’un riche commerçant et une fois sa liberté conquise (1853), il s’était affranchi en gardant son ancien métier. Bien que la police aie défini des zones pour les aguateros, ceux-ci allaient au plus facile, et souvent au lieu d’entrer plus profondément dans le rio, plongeaient leurs tonneaux à même la berge qui ne leurs étaient pas destinés. Les rives étaient sales et contaminés, tout d’abord par les lavandières qui avaient l’habitude d’amidonner les vêtements et les draps. Quant aux détergeants et aux savons, ils restaient ensuite en suspension aux abords des berges. De plus, les porteños avaient l’habitude d’abandonner sur ces mêmes berges les animaux morts, chevaux, mulets, bœufs, … qui putréfiaient. Enfin près du port (débarcadères se situant entre la Plaza de Mayo et le bas de l’actuelle avenida Corrientes, mais aussi en face de San Telmo), les navires polluaient. El aguatero, suivait tous les matins et toutes les fins d’après midi sont parcours à l’aide d’une charrette sur laquelle était posé un énorme tonneau, le tout était tiré par des bœufs ou des chevaux. A chaque client, il vendait son eau par « canecas » qui était une mesure approchant les 20 litres. A l’époque coloniale les canecas étaient en cuir, puis elles furent remplacées au XIXème siècle par des bidons de même volume. Au fil des années avec l’arrivée de la révolution industrielle à Buenos Aires (usines, et construction du chemin de fer en 1857) les eaux étaient de moins en moins potables. Il existait aussi la possibilité de faire des puits, mais l’eau tirée était encore plus saumâtre que celle du rio et d’un très mauvais gout. Personne ne voulait la boire et on l’utilisait seulement qu’à des taches domestiques et aux latrines. Enfin, uniquement chez les propriétaires les plus riches, la construction d’un « aljibe » était à la fois la marque de la réussite sociale, mais aussi la possibilité d’obtenir une eau presque pure. Il s’agissait en fait d’un système modernisé du pluvarium romain, qui recueillait l’eau des pluies des toits, terrasses et patios et qui s’accumulait dans une cavité (souvent sous le patio central) et dont on l’extrayait à partir d’un puit en son centre. Certains ont été utilisés à Buenos Aires jusque dans les années 1910-1920. Sous l’explosion de la démographie et de l’industrie naissance, il fut de plus en plus difficile de pouvoir proposer aux porteños une eau salubre, et les épidémies de 1867 furent un premier avertissement. Photo : Des lavandières au travail sur les bord du Rio de la Plata, nous sommes en 1870. Au loin 3 batiments, à gauche la vieille douane et son embarcadère, au centre la future Casa Rosada, à droite la station de train "Julio" ensuite nommée "Estacion Central" en service à partir de 1863 et qui va disparaitre dans un incendie en 1897. |
Photos : A gauche, des lavandières au bas du Paseo de Julio en 1870. L'eau n'est pas toujours propres même pour laver son linge. A droite, une famille de riche commerçants, ils disposent d'un aljibe dans le patio de leur demeure pour puiser l'eau de pluie. |
1867 : La population s’accroit, la ville s’industrialise, les épidémies s’installent :
L’état de la ville de Buenos Aires en 1867 est déplorable. La ville a trop vite grandit et le village colonial s’est transformé en ville sans pour autant que les services suivent ! 1867 est la première grande épidémie de cholera qui touche le Rio de la Plata, ca ne sera pas la seule, une seconde la touchera en 1873, puis de nouveau en 1886 et enfin en 1894. Ces 4 vagues permirent sans le vouloir aux autorités porteñas d’évaluer à chaque fois leurs services et les recours pour les endiguer. Il est indéniable que la première de 1867 (décembre 1867-janvier 1868) fut à prendre comme une alarme devant l’état délabré de la ville, de ses services et de l’hygiène de ses habitants. On ne sait pas trop comment arriva le cholera à Buenos Aires. On émet l’idée qu’il fut rapporté par bateau de Gènes en Italie jusque dans le port de Montevideo à partir duquel, il se répandit à tout le Rio de la Plata, Buenos Aires mais aussi Rosario puis ensuite les provinces d’Entre Rios, Santa Fe et Córdoba. Une autre hypothèse avance l’idée d’un bateau de soldats argentins revenant de la guerre de la triple alliance au Paraguay, auraient débarqué à La Boca avec le cholera. En quelques mois, 3.000 morts dans la seule ville de Buenos Aires, 15.000 morts à l’ensemble de la province. La ville de Buenos Aires est peuplé en 1867 d’environ 170.000 habitants. Le second recensement officiel date de 1869 est donne 187.126 habitants, alors que le premier datant de 1855, estime la population qu’à 90.000 habitants. La ville a doublé en moins de 20 ans ! L’explication vient du début de l’émigration européenne. En effet le recensement de 1855 à Buenos Aires montre que 29% de ses habitants viennent d’arriver fraichement d’Europe (la ville compte alors 7.000 français, 8% de la population). Chaque jour, les émigrés arrivent et s’entassent en ville. |
Photo : Datant de 1867, la ville de Buenos Aires s'étend et se densifie dans le centre. Vue du Paseo de Julio, aujourd'hui nommé Avenida Alem. Il n'y a pas encore d'eau courante dans la ville. |
Le 22 septembre 1867, le gouverneur de la province Adolfo Alsina propose à l’assemblée nationale de doter la ville d’un système d’eau courante. Mi 1868, le projet de l’ingénieur Juan Coghlan est accepté. 480 cuadras abritant plus de 100.000 habitants (sur les 177.000 que comptent la ville) seront reliées au nouveau système d’eau courante. Le 20 septembre 1868, sous l’œil du président Sarmiento est placée la première pierre de l’Etablissement potable de Recoleta (Establecimiento Potabilizador Recoleta), sur le terrain même qui abrite aujourd’hui le Musée des Beaux Arts. Ce bâtiment abrite deux pompes à eau fonctionnant avec des moteurs à vapeur. La première est chargée de prélever de l’eau du Rio de la Plata. La seconde de la filtrer (avec du sable) et de l’envoyer dans un réservoir placé sur un des plus hauts points de la ville : La Plaza Lorea. A partir de décembre 1868, on fait venir les machines de Londres. Le 04 avril 1869, le projet est en état de marche et on ouvre les pompes, vannes et tuyauterie. Pour la première fois en Argentine, on dispose d’un système d’eau courante. Le service est partiel, c’est à dire que les habitants n’ont de l’eau que de 7h du matin à 14h. Quelques mois plus tard en août 1868, le service fonctionne 24h sur 24h. Au centre de la Plaza Lorea est placé, donc dès août 1868, un réservoir de 272 m3 placé en haut d’une structure métallique à 19,50 m du sol. Il accumulait l’eau aux heures creuses pour la distribuer aux habitants du quartier aux heures de pointe. La limite de la zone couverte par la distribution d’eau à l’ouest est l’avenida Centro America (aujourd’hui avenida Pueyrredon), en effet au delà de cette avenue en 1868, il y a peu de constructions. Le Réservoir Lorea avait donc un rôle de régulateur mais aussi de réservoir d’eau de secours en cas d’incendie dans le voisinage. On procédait trois fois par an, au nettoyage de la citerne sans pour autant interrompre le service, et l’ensemble était surveillé nuit et jour par un gardien installé dans un baraquement au pied de la tour. Il était relié par télégraphe aux bureaux de Recoleta. Avec l’augmentation de la population, bien rapidement le réservoir devient insuffisant. En effet on calculait alors un approvisionnement maximal de 145 litre /habitant par jour, et le réservoir de la place ne pouvait plus subvenir à la demande. Photo : Le centre de pompage de Recoleta situé à gauche de l'Avenida Libertador au niveau de Recoleta. On remarque les deux cheminées. Le centre de Buenos Aires est au fond. Photo vers 1890. En dessous vue aérienne du même lieu en 1925. |
Photo : Vue aérienne datant de 1925. Au premier plan el Establecimiento de Recoleta (OSN), comprenant les pompes à eau. Au dessus de l'Avenida Libertador, en diagonal, l'Avenida Pueyrredon. Les pompes seront démontées en 1928, et après une remodelation du bâtiment, il sera transformée en Musée des Beaux Arts. Au centre le cimetière de Recoleta. Au fond, la facultée d'Ingéniérie sur l'Avenida Las Heras. |
Photos : A gauche l'Establecimiento Recoleta, aussi nommé Casa de Bombas OSN, à droite, le même bâtiment réformé et transformé aujourd'hui pour abriter le Musée National des Beaux Arts. |
Le dépôt de Lorea devient insuffisant :
1871 : Deux ans seulement après la mise en service du système d’eau potable celui-ci se montre déjà insuffisant. De plus la population de Buenos Aires s’accroissant de manière significative avec l’arrivée des premiers émigrants européens, il faut déjà penser à un nouveau projet. On est pressé, après le cholera de 1867 (1.500 victimes à Buenos Aires) et la typhoïde de 1869 (500 victimes), voila que l’année 1871 arrive en ce mois de janvier avec une épidémie de fièvre jaune provenant du Brésil et va décimer la population (15.000 morts). L’ingénieur Juan Bateman reprenant le poste de Coghlan, met au point un nouveau plan pour porter la quantité d’eau disponible à 182 litres /habitant par jour, et sur une base d’augmentation de population de 400.000 âmes. Pour cela il faut un dépôt d’eau de 72.700 m3, et donc se lancer dans un projet bien plus ambitieux sur un terrain bien plus important. On pense être alors à l’abri pour les 20 ans à venir. Si l’arrivée d’eau peut être améliorée, rien pour le moment avait été pensé pour les eaux usées, l’ingénieur Bateman y travaille aussi et met au point un système de récollecteurs à travers la ville. Photo : La Plaza Lorea et son réservoir d'eau. |
Infographie : Le plan de Buenos Aires de 1855. Dessus les transformations du tracé de l'Avenida de Mayo entre 1884 et 1893, l'emplacement du réservoir de la Plaza Lorea entre 1868 et 1894, la création de la Plaza Congreso entre 1894 et 1910, la constuction du Palais du Congreso entre 1897 et 1906, le Palacio de las Aguas Corrientes édifié sur l'avenida Cordoba entre 1887 et 1894, et les pompes du bas Recoleta construites en 1874 et en service jusqu'en 1928. |
Le Palacio de Aguas Corrientes :
A partir du 16 mars 1875, la société des eaux met une commission sur pied (Comisión de Aguas Corrientes) sous la conduite de l’ingénieur Balbin pour effectuer un audit de l’état des installations et signale donc l’insuffisance du débit d’eau, et d’une dégradation par la rouille de la citerne de la Plaza Loria. C’est au terme de cette étude que l’on décide de construire un autre dépôt d’eau dans Buenos Aires situé aussi sur une butte se trouvant à l’actuelle intersection de l’avenida Cordoba et de la calle Ayacucho. Ce dépôt et l’ensemble architectural qui abritera les nouveaux services de la Compagnie des eaux se nommera : Palacio de Aguas Corrientes, il est toujours visible et abrite encore aujourd’hui les service de la société des eaux Aysa. La construction de ce bâtiment débute en 1887. Nous sommes début 1894, le Palacio de Aguas Corrientes est terminé et peut alimenter 400.000 habitants, il est déjà dépassé, la ville abrite 547.000 porteños ! Quant au tout petit réservoir de la Plaza Lorea n’a plus aucune utilité, il sera démonté juste avant, le 7 décembre 1893 pour laisser passer la nouvelle avenida de Mayo. Photo : Vue actuelle du Palacio de Aguas Corrientes, que l'on nomme souvent Aguas Argentinas. Au premier plan, l'avenida Córdoba. |
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