Mise à jour : 20 décembre 2012. Article écrit par Igor Dniestrowski.

nullJouer avec les chiffres :

La canasta alimentaria, ou panier alimentaire, est un indicateur important en Argentine car il permet de chiffrer le montant nécessaire à une alimentation minimale mais correcte. Ce chiffre est calculé pour une famille de quatre personnes et pour un mois.

Mais pourquoi cet indicateur est si important ? Car il permet surtout de définir le nombre de pauvres et d’indigents, et donc de surveiller le niveau de vie des argentins et la brèche entre inflation et salaires.  Cependant, comme tout outil économique, il présente de nombreux défauts. En effet, le panier étant fixe, celui-ci ne peut pas prendre en compte par exemple l’effet de substitution (mis en évidence par Marshall, si un prix d’un produit varie par rapport au prix d’un autre produit, cela entraîne une modification dans le comportement de consommation). Certaines de ces erreurs sont difficilement contournables. Cependant d’autres erreurs peuvent paraître plus suspectent comme par exemple se « tromper » lorsque l’on relève les prix des produits. Ou tout simplement appuyer ses chiffres sur des produits qui sont rarement dans les gondoles des magasins. En 2011 et 2012, le gouvernement a aussi essayé d’imposer des prix à la distribution (lait, légumes, viandes) sans succès, mais est resté sur ces même prix pour appuyer les chiffres de la canasta. Ce qui a eut pour effet, d’avoir des prix « fantômes » sur des produits réels. Pour démentir les faits, le gouvernement s’est empressé d’envoyer avec grand renfort de média des roulottes sur les marchés pour vendre au prix « Kirchnériste » poissons, viandes, laitages… Ces opérations ont vécu le temps d’une campagne médiatique.

nullQu’est ce que la canasta alimentaria, à quoi sert-elle et comment est-elle calculée ?

La « canasata básica alimentaria » est un indicateur développé par l’INDEC (Instituto Nacional de Estadística y Censos) (notre INSEE) en 1987. Cet indicateur correspondrait au panier utilisé pour calculer l’indice des prix en France par l’Insee sauf que la « canasta alimentaria » ne concerne que les produits alimentaires (alors qu’en France le panier est composé de produits et de services).

La « canasta básica alimentaria » (CBA) est déterminée en fonction des habitudes de consommation de la population et des besoins nutritionnels en kilocalories et en protéines pour un homme adulte entre 30 et 59 ans et cela pour un mois. Elle est calculée pour une famille de quatre personnes. Un panier de produits est alors établi d’après une liste de 27 aliments. Celui-ci prend en compte les différents aliments mais aussi les quantités nécessaires. C’est donc un indicateur qui permet de définir à partir de quel seuil on mange à sa faim.

Il ne faut pas confondre cet indicateur avec un autre portant le nom de « Canasta Básica Total » (CBT) qui inclut les biens et les services.

Les deux indicateurs permettent d’observer la variation des prix et de constater l’inflation moyenne, ceci grâce à « el Índice de Precios al Consumidor » (IPC) (l’indice des prix aux consommateurs).

Cet indicateur permet à l’INDEC de mesurer le taux de pauvreté et le taux d’indigence. Indicateur essentiel afin de constater les résultats de la politique du gouvernement, donc essentiel aussi a manipuler lorsque les résultats ne sont pas au niveau des annonces.

nullLes derniers chiffres de l’INDEC datent de novembre 2012 :

Le niveau d’indigence de la Canasta Basica Alimentaire (CBA) est de 231,86 ARS par adulte par mois. La famille type est calculée sur la base de deux adultes, d’une fille de 8 ans et d’un fils de 5 ans. Ce qui fait que pour obtenir une famille type il faut multiplier par 3,09 (Père : indice 1. Mère : 0,74. Fille de 8 ans : 0,72 et fils de 5 ans : 0,63. soit 1 + 0,74 + 0,72 + 0,63 = 3,09) :

Donc CBA 231,86 x 3,09 = 716,44 ARS.

C'est-à-dire que si une famille a une entrée mensuelle inferieure à 716,44 ARS, elle est considérée comme indigente. La ligne d’indigence est donc placée à 716,44 ARS pour une famille type de 4 personnes.

La CBA permet donc de définir la limite d’indigence. C'est-à-dire les familles ne pouvant pas s’alimenter comme elles le devraient

Pour connaître ensuite le niveau de la Canasta Basica Total (CBT) on multiplie le CBA par un coefficient de 2,23 (en fait légèrement supérieur à 2,23, on le nomme « Inversa de Coeficiente de Engel ») ce qui donne 716 x 2,23 = 517,85 (et non 517,05). Les 517,85 sont aussi à multiplier par 3,09 ce qui donne donc pour une famille type de 4 personnes : 517,85 x 3,09 = 1600,15 Ars par mois.

Toute famille n’ayant pas un revenu de 1600,15 Ars fin novembre 2012 est donc officiellement pauvre

La CBT permet de définir la limite de pauvreté.

Graphique : Différence du niveau de la CBA entre chiffres de l'Indec et l'IPYPP.

Vidéo : Les journalistes s'interrogent en aout 2012 sur le canal C5N (pourtant pro gouvernemental) sur les 6 pesos par jour nécessaires pour s'alimenter. 16 août 2012. 5 mn 05 s.

Ci dessous la suite du reportage . 7 mn 15 s.

nullLes derniers chiffres de l’INDEC

Les chiffres de l’INDEC pour juillet 2012 concernant la CBA affichent une valeur de 688,37 pesos par mois. Les chiffres de l’INDEC pour août 2012 concernant la CBA (ville de Buenos Aires)  affirment que celle-ci s’élèvent à 699,01 pesos répartis sur les 31 jours du mois d’août. Ce qui équivaut en moyenne à 22,54 pesos par jour. Une fois ce montant divisé par quatre, on obtient 5,63 pesos par jour et par personne pour l’alimentation. La CBA a donc augmenté selon les chiffres officiels de 1,54% en un mois et de 10,1% depuis janvier 2012. Pour ce qui est des chiffres d’octobre 2012, L’INDEC affiche une CBA de 713,01 pesos, soit 5,89 pesos par jour et par personne. L’INDEC publie mensuellement les chiffres à l’échelle nationale et aussi à l’échelle des provinces. Quelquefois contradictoires avec les chiffres diffusés par les gouvernements régionaux. Quelques provinces kirchnéristes ont reçu l’ordre de ne plus diffuser leurs propres statistiques qui mettaient en contradiction les chiffres de l’INDEC.

On est donc vite venu à déclarer officiellement que l’on pouvait se nourrir convenablement avec 6 pesos par jour par personne. Ce fut la risée dans les medias (et chez les argentins) en août 2012.

Comment faut-il interpréter le chiffre de 6 pesos par jour et par personne ?

En somme, pour l’INDEC, avec 6 pesos par jour, on peut manger équilibré. Mais est-ce qu’avec une telle somme une personne peut en effet manger à sa faim ? Il est évident que non, le chiffre est aberrant.

En s’appuyant sur ces chiffres, l’INDEC peut affirmer que la pauvreté en Argentine s’élève à 1,6 millions de personnes et 427 000 personnes seraient indigentes. Le gouvernement de Cristina Kirchner affiche fièrement ces résultats et prétend donc avoir fait reculer la pauvreté et avoir presque éradiqué l’indigence.

nullDes chiffres qui ne sont pas en accord avec la réalité :

Ces chiffres paraissent fallacieux. Ana María Edwin, la directrice de l’INDEC, a fini par reconnaître que cet indicateur n’avait plus aucune valeur aujourd’hui, et n’était à prendre qu’à titre « indicatif ».

Mais alors qu’est-il de la réalité ? Le supermarché Carrefour a proposé en août un menu nutritif à 6,99 pesos par jour et par personne. Ce menu comporte 36 produits. Cependant le journal La Nacion a voulu confirmer cette information mais la direction de Carrefour est resté bien silencieuse et n’a avancé aucune preuve de cette offre. Le journal a donc mené son enquête et a calculé grâce à la liste de Carrefour le prix d’un tel panier. Le résultat fut de 943,61 pesos pour 14 jours et pour une famille de 4 personnes. Ceci équivaut à 16,85 pesos par jour et par personne, un chiffre 2,4 fois supérieur à l’offre faite par Carrefour.

Une autre étude fut menée par le syndicat du Centre des Travailleurs Argentins (Central de Trabajadores Argentinos, CTA) dissidente et coordonnée par le député Claudio Lozano. Le résultat de l’enquête s’éleva à 19 pesos par personne, ce qui est trois fois supérieur au chiffre officiel de l’INDEC.

Selon une autre étude cette fois-ci menée par l’ « Instituto Pensamiento y Políticas Públicas » (IPyPP), une famille type composé de quatre membres nécessite 2 251 pesos par mois pour couvrir les dépenses alimentaires (soit aussi 19 pesos par jour et par personne) et non 688,37 pesos.

De plus, de nombreux médecins soulèvent le problème du choix du panier de l’INDEC. En effet, le panier de l’INDEC est composé d’aliments qui correspondent selon plusieurs nutritionnistes à une alimentation conduisant à l’obésité et qui ne serait pas du tout bonne pour la santé. Selon eux, afin de manger sainement, un argentin aurait besoin de 24 pesos par jour, soit 2861 pesos par mois pour une famille de quatre personnes.

Y compris la CGT d’Hugo Moyano a fait ses propres études. Celle-ci reprend les mêmes aliments que le panier de l’INDEC. Le résultat est tout à fait différent que celui trouvé par l’INDEC. En effet, le prix du panier serait en fait aussi 52% plus cher que celui trouvé par l’INDEC.

Photo : Ana María Edwin, la directrice de l’INDEC

Video :

 A plusieurs reprises le journaliste attaque Cavallo responsable du mauvais calcul de la canasta mis en place en 1987. Cet ancien ministre et économiste, fut en poste entre 1989 et 1996. Cavallo n’a jamais été le créateur de cette canasta. De plus depuis 1996, les gouvernements successifs ont eu tout le loisir de changer le calcul de la Canasta. Toujours très facile de dire « ce n’est pas moi, mais l’autre d’avant » Ca fait tout de même 10 ans que la famille Kirchner est au commande du pays !

 En décembre 2012 :

Le canal national (donc gouvernemental) reprend l’information en aout 212 est nie que l’INDEC a déclaré que l’on pouvait manger avec 6 pesos par jour. Le journaliste s’évertue (assez tiré par les cheveux) que la canasta basica est de pour une famille de 4, mais qu’il ne faut pas diviser par 4 pour avoir le budget par personne. De plus la composition de la canasta date de 1987, donc très mal composé (car de l’époque de Raul Alfonsin, et donc n’est pas de la faute du gouvernement Kirchnériste). En tout cas, le journaliste oublie quand même de dire que grâce à cette canasta « absolument pas représentative du budget de consommation », le gouvernement va tout de même publier les chiffres de pauvreté (d’un coup de baguette magique, eux absolument représentatifs). Etonnant non ? Bref, la canasta n’est pas représentative, mais les chiffres du taux de pauvreté qu’on en tire, sont eux représentatifs !

nullPourquoi le gouvernement a tout intérêt à diffuser des chiffres sous évalués : 

L’indicateur de la « Canasta Basica » est à lui seul le véritable baromètre de la ligne entre « pauvres » et « non pauvre » entre misère et non. D’où toute la force mise en œuvre par le gouvernement pour faire croire que l’on peut manger avec 6 pesos en Argentine en 2012. Il faut prouver que l’augmentation des prix des aliments reste faible (entre 8 et 10 % par an) et que les actions sociales aux nombreux subventionnements viennent dépasser ces mêmes 10%, prouvant ainsi que la pauvreté est en recul dans le pays. Le gouvernement fixe donc tout son plan d’action sociale sur les chiffres et l’inflation de la canasta officielle.

Le gouvernement de Cristina a donc un double-intérêt à ce que cet indicateur soit bas : non seulement il permet de faire diminuer le nombre de pauvres et d’indigents mais aussi il permet de réduire les dépenses de l’Etat.

Le véritable taux d’inflation pour 2011 comme 2012, serait plus proche des 25%. Les salaires augmentant à raison de 10 à 15% par an, apparaissent donc supérieurs aux taux officiel d’inflation et permettent donc d’indiquer une amélioration du pouvoir d’achat des classes les plus faibles. Pour les classes moyennes, le plancher à partir duquel les salaires deviennent imposables reste soit stable ou alors sont aussi de 10% par an (le taux officiel de l’inflation), mais comme de très nombreux salaires ont suivi des augmentations de 15 ou 20% dans l’année, ils entrent maintenant dans les salaires imposables et doivent payer l’impôt sur le revenu. C’est ainsi que la petite classe moyenne doit à la fois faire face a une perte du pouvoir d’achat réel (15 à 20% d’augmentation des salaires dans un pays ou il y a 25% d’inflation), et de plus se font rattraper par un impôt sur le revenu.

Graphique : Il est certain qu'en jouant avec les chiffres de la canasta, la pauvreté ne touche que 3 millions d'argentine (soit 8,3% chiffre le plus bas depuis 30 ans !), alors qu'elle touche en fait 31% de la population soit 12 millions de personnes.

nullL’Etat est donc doublement gagnant. Il affiche des chiffres de baisse de la pauvreté, d’augmentation du niveau de vie, et fait entrer plus d’impôts dans les caisses. Ces chiffres sont ensuite publiés au niveau international faisant croire que le pays ne s’est jamais mieux porté qu’aujourd’hui. Les instituts internationaux, comme ceux argentins privés publient à part d’autres chiffres qui contredisent toutes les statistiques officielles. C’est ainsi que le FMI après une étude en 2011 a demandé au gouvernement argentins de lui présenter en février 2012 d’autres chiffres puis en septembre 2012 a refusé de prendre en compte tous les chiffres de l’Indec. De plus a demandé à l’Argentine de revoir sa « méthodologie » de calcul. Le FMI avait imposé la date du 17 décembre 2012 pour que l’Argentine lui remette les bonnes statistiques. L’Argentine étant le seul pays membre du G20 qui refuse que le FMI fasse une évaluation annuelle de l’économie du pays. Le FMI a brandit le spectre de la « Déclaration de Censure » au cas où le gouvernement argentin ne réactualisait pas ses statistiques. Le FMI pourra ainsi inhabiliter le pays à pouvoir utiliser les recours financiers du Fond et même suspendre son droit de vote dans l’organisme. Au 17 décembre 2012, Christine Lagarde en voyage au Chili a déclaré qu’elle rendra public les chiffres sur l’économie argentine obtenus autrement que par l’Indec, mais remet à 2013 toute sanction contre le pays.

Graphique : C'est ainsi que des millions d'argentins sont sorties officiellement de la pauvreté, et sont donc maintenant imposés sur leurs revenus. En 2007, il fallait gagner 4,1 fois plus que la CBA réelle (calculé par les instituts privés) pour etre imposable. Aujourd'hui il faut uniquemnet gagner que 2,6 fois plus pour etre imposables.

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Infographie : C'est ainsi que Cristina Kirchner s'affiche comme la victorieuse du combat contre la pauvreté. Grace aux chiffres de l'INDEC, en une seule année, le gouvernement affiche le recul de la pauvreté de 9,9% à 6,5 % !!! Ce tableau est diffusé par TELAM (Agence nationale des nouvelles). Ici on en rigole, ou plutot on en pleure ! Officiellement, la pauvreté est la plus faible dans le pays depuis 30 ans !!!

nullLes chiffres des autres :

Selon l’ODSA (Observatorio de la Deuda Social) il n’y aurait pas 1,6 millions de pauvres dont 427 000 indigents mais 10,8 millions de pauvres dont 2,1 millions d’indigents.

Ces résultats sont cinq fois supérieurs à ceux de l’INDEC. Cependant, la situation est tout de même meilleure qu’en 2007 où la pauvreté atteignait 18,5% de la population et l’indigence 4,5%. En effet, la pauvreté toucherait aujourd’hui 13,4% de la population et l’indigence 3,3%.

L’ODSA attribue la tendance à la baisse non par la croissance économique mais surtout à la multiplication des plans sociaux. Mais toujours selon l’ODSA, la pauvreté structurelle, la ségrégation sociale, le sous-emploi des indigents, la sensation d’insécurité, les périodes d’incertitude sont toujours fortement présents.

Notamment à propos de l’incertitude de l’emploi, l’ODSA affirme qu’en 2011, 23,5% de la population active a connu une situation de non emploi au moins une fois durant l’année comparé à 21,7% en 2007. L’ODSA remarque également une baisse irrégulière des conditions de vie. Environ 1,6 millions de foyer urbains sont privés d’eau courante, 3,2 millions ne possèdent pas le gaz et 4 millions ne sont pas raccordées à un système d’égout.

C’est dans ces conditions que l’ODSA affirme qu’en cinq ans l’Argentine a connu une croissance mais qui ne s’est pas accompagné d’équité sociale. La croissance aurait donc plus profité aux riches qu’aux pauvres. Selon l’ODSA les résultats à la baisse de la pauvreté sont dus à la conjoncture et ne sont pas malheureusement des changements structurels. Ce rapport remet en cause entièrement la politique du gouvernement actuel qui se veut populiste.

Fait intéressant, le groupe de hackers surnommé « Sector 404 Argentina », a piraté la page web de l’INDEC en aout 2012, après que cette dernière annonça ses chiffres sur la canasta alimentaria. Le groupe publia un communiqué via Twitter revendiquant le piratage et montrant le caractère absurde d’un tel chiffre. Sector 404 est habitué à hacker de temps en temps les pages officielles des différents ministère argentins

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