Mise à jour : 30 juillet 2012. Article écrit par Suzanne Raucy.

nullLe Café Margot :

Ce café est certainement considéré comme l’un des plus emblématiques du quartier de Boedo. Il n’est pas seul, car ce quartier compte de nombreux théâtres et d’autres célèbres café comme le Café Esquina Homero Manzi. Pourtant c’est avec surprise que l’on apprend qu’il n’a été fondé qu’en 1993. Son histoire est donc relativement récente mais il revendique déjà un héritage social et culturel. Le bâtiment qui l’abrite est un des plus vieux de Boedo. Ce coin de rue, « Esquina San Ignacio et Boedo », a affiché tout au long du siècle passé d’autres enseignes, et l’actuel Café Margot se réclame tout naturellement comme l’héritier de toutes ces familles qui se sont succédées à sa tête. Sa grande spécialité, le traditionnel sandwich de « pavita en escabeche ». Dans ce barrio  bohème et artistique de Boedo, anciennement ouvrier et parcouru par les tangueros, ce café-bar-restaurant se dresse encore fièrement, découvrant à la clientèle ses murs de briques rustiques, tapissés d’affiches et de publicités anciennes. Le sol carrelé de noir et blanc à l’ancienne occupé par des tables et des chaises semblant être là depuis des décennies, complète le décor tout droit sorti d’un vieux film en noir et blanc des années 30. Le Margot fut classé « bar notable » en 2004, puis site d’intérêt culturel de la Ville de Buenos Aires en 2010, ultime reconnaissance qui le met maintenant à l’abri de toute démolition. Une partie du patrimoine vivant du quartier de Boedo.

Photo : Entrée principale du Café Margot. (Juillet 2012).

nullHistoire d’un coin de rue : Esquina San Ignacio et Boedo :

En 1904, lorsque le constructeur Lorenzo Berisso inaugura le bâtiment de deux étages qui abrite aujourd’hui le Café Margot, la ruelle s’appelait encore « Camio », et cet immigrant italien, originaire de Chiavari y ouvrit un débit de boisson et une armurerie. La ruelle fut rebaptisée « Passaje San Ignacio » en 1905, en hommage à San Ignacio de Loyola. Les nombreux établissements qui se succédèrent en ce lieu furent tous dédiés à l’alimentation. La Confiserie de Roses s’y installa à la fin des années 1920, comprenant une boutique et une petite usine de fabrication artisanale de bonbons. Tandis que les gens du quartier se régalaient de ces sucreries, le Grupo de Boedo prenait forme, en lien avec la création du journal Claridad d’Antonio Zamora (Boedo 837): Roberto Arlt, Alfredo Palacios, Héctor González, Raúl Gonazález Tuñón et Adolfo Bellocq notamment, furent membres de ce groupe informel d’artistes d’avant-garde, souvent qualifiés d’intellectuels mélancoliques, caractérisés par leurs thématiques sociales et leurs idées de gauche, et traditionnellement opposés au Grupo Florida.

À partir de la mort de Berisso en 1939, le bâtiment passa de mains en mains, chaque propriétaire ayant pour ce lieu un projet différent. En 1940, Maria et Gavino Torres y ouvrirent la Confiteria Trianon. Le commerce gagna en notoriété, en dehors même des limites du quartier, grâce à son sandwich de dinde à l’escabèche (pavita en escabeche), recette exclusive Dona Maria. Un vieil habitué raconte l’anecdote qui fait encore la fierté de cette esquina : le général Perón lui-même aurait fait un détour afin de goûter le célèbre sandwich. Au début des années 1980, le commerce quitta l’esquina pour s’établir cinquante mètres plus loin, dans le passage San Ignacio, pour être ensuite à nouveau déplacé au numéro 845 de l’avenida Boedo, où il se trouve toujours, (propriété de la société « La Farola »). En 1986, le restaurant Canovra reprit brièvement l’enseigne, remplacé dès 1987 par le restaurant italien de la firme Castro-Pellegrini, également fabrique de pâtes traditionnelles, Lo Penso Io.

Photo : Dans les années 1920, du temps de la Bomboneria de Roses.

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Photos : A droite, certainement la toute première photo du Café Margot, en 1904, lors de l'inauguration de l'immeuble avec la famille Berisso au grand complet posant sur le balcon du premier étage. A gauche, le même angle à droite dans les années 1930, le café Trianon est déjà ouvert.

nullL’histoire récente du Café Margot : La mise en valeur d’un héritage culinaire et culturel : 

À l’époque de la Cafeteria Trianon, le couple Torres se lia d’amitié avec un immigrant espagnol, Julio Duràn, qui fonda lui-même son propre bar-restaurant, le Bar Hipopotamus (Defensa y Av. Brasil, barrio de San Telmo), rebaptisé à sa mort Hipopótamo par ses fils. Deux d’entre eux, Julio et Pablo Duràn, ayant travaillé aux côtés de leur père et gardé contact avec les Torres après le déplacement du Trianon, décidèrent de racheter le fonds de commerce, à la suite du restaurant italien. Ainsi fut fondé en 1993 le Café Margot : à l’ancien emplacement de la Confiteria Trianon et soutenu par le don de Maria et Gavino Torres, au nom de l’amitié qui les liait à leur père, de leur recette du sandwich de pavita à l’escabeche.

Pablo Duràn baptisa ce nouveau café du nom d’une des femmes célèbres du tango: Margot, personnage créé par Celedonio Flores en 1921, chantée par Carlos Gardel, évocation de ces faubourgs de Boedo du début du XXe siècle, un nom dont le choix dit assez l’attachement du propriétaire du Café au style bohème et artiste du siècle passé. Ce qui frappe lorsqu’on entre au Café Margot en connaissant son histoire, c’est cette atmosphère propre à un bar d’esquina qui serait là depuis toujours : a-t-elle été simplement bien récréée pour les voyageurs étrangers ou bien le Café Margot a-t-il repris avec un vrai succès ce vivant emblème de la culture porteña ?

nullLe Café Margot est essentiellement fréquenté par des habitués, des gens du quartier, ce qui est déjà le signe de sa bonne intégration au sein de celui-ci. Les habitants du barrio de Boedo ont été attentifs aux nombreux changements d’enseigne au cours du siècle dernier, et le Café Margot semble les avoir séduit : des couples, jeunes comme âgés, sont présents quelle que soit l’heure de la journée, dégustant cafés, pâtisseries ou plats traditionnels, des groupes d’amis se partagent des « picadas », à chaque table les conversations sont animées, chacune des deux salles du Café Margot est pleine de vie, elles ne désemplissent jamais. Les serveurs vêtus de noir vont et viennent dans un décor dont on pourrait penser qu’il n’est précisément rien de plus qu’un décor. Des ardoises présentent les spécialités et autres suggestions du jour, de vieilles affiches publicitaires et des photographies de figures artistiques du quartier recouvrent littéralement les murs de brique rouge, des étagères regroupent vins et liqueurs variés, diverses charcuteries pendent au plafond, des chaises et des tables anciennes et disparates meublent les lieux.

Pablo Duràn, qui est à présent propriétaire du bar avec son épouse Laura Carro, explique cette volonté de donner à ce Café une atmosphère authentique, traditionnelle : « Le vieux, l’ancien m’ont toujours plu. Enfant, j’aimais entrer dans un vieux magasin ou dans un bar emplis de souvenirs. » Duràn et Carro sont propriétaires de trois autres bars notables : El Federal, La Poesia (San Telmo) et le Bar de Cao (San Cristóbal) : une même logique les unit, celle de restaurer et de réhabiliter au sein de leur quartier ces lieux traditionnels de vie.

Photos : Intérieur du café en Juillet 2012. Photos Suzanne Raucy. 

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Photos : Le Café Margot en 2010, et détails de la photo de 1904.

nullDéclaré Bar Notable et Site d’intérêt culturel :

Impossible de l’ignorer : quand bien même en arrivant au coin de la rue on ne le saurait pas, des vignettes rouges officielles l’indiquent sur chaque battant de la porte, sur chaque fenêtre. À l’intérieur, on appréciera les plaques de métal récentes mais peintes « à l’ancienne » : Café Margot, déclaré en 2004 « Café notable » par gouvernement de la ville, c’est-à-dire reconnu comme patrimoine culturel de la ville de Buenos Aires. Rappelons le, la loi 35 de juillet 1998, ayant créé la « Comisión de Protección y Promoción de los Cafés, Bares, Billares y Confiterías Notables de la Ciudad de Buenos Aires », donne pour caractéristiques nécessaires l’authenticité et la permanence, la conception architecturale, la légitimité de ces établissements au sein du quartier. À ce titre et malgré sa récente ouverture, le Café Margot a une valeur patrimoniale reconnue, il est en lien avec des « activités culturelles signifiantes ». Par ailleurs, sa façade avait été restaurée (à partir du 15 janvier 2010) et ré-inaugurée le 26 octobre 2010, également par la Direction Générale du Patrimoine, un siècle après la fin de sa construction.

À l’extérieur, une plaque de marbre rappelle la seconde consécration : « Esquina de sueños, bohemia y artistas del pueblo. Sitio de interes cultural. 2 setiembre 2010 »

Ce soutien du gouvernement est sans conteste important, face à la concurrence nombreuse, mais Pablo Duràn tient à rappeler que le rapport qualité/prix est primordial pour conserver une clientèle locale et authentique. Le Café Margot est un réel succès commercial, en particulier depuis son classement comme bar notable: il n’est pas garanti que vous trouviez une table libre !

Photo : Peinture naive de Roxana Muchnik du Café Margot.

Vidéo : le Café Margot. (2011) 5 mn.

nullUn lien affectif avec la culture populaire de Buenos Aires: galerie d’art et bibliothèque :

Au delà de cette reconnaissance officielle, le Café Margot met en avant cette volonté d’être un lieu de culture populaire et ouverte. En 2004 y fut fondé le groupe Baires Popular, composé d’amis et de personnalités intéressées par la culture populaire, se réunissant le samedi, sous l’égide de Leonardo Busquet, « coordinateur culturel et des relations institutionnelles des quatre bars » possédés par le couple Duràn. Acteur, auteur, documentaliste, ex-directeur général de la Commission de Culture, il a mis au point un système d’exposition temporaire : dans chacun de ces quatre bars, fonctionnant également comme galerie d’art, des œuvres picturales d’artistes porteños sont exposées pendant deux semaines, avant de permuter. Comme il le dit « Pablo est un commerçant avec des attentes culturelles », ce qui semble coïncider avec la volonté de Baires Popular de promouvoir la culture populaire de Buenos Aires : le Café Margot offre à ses clients l’accès à une bibliothèque située dans la salle du fond, composée de manifestes littéraires, vieux guides touristiques, romans du monde entier, mais aussi magasines périodiques dédiés au barrio de Boedo.

À l’étage, l’Espacio teatral Boedo XXI et la Bibliothèque publique Lubrano Zas dédiée à l’histoire du quartier (Boedo 853), sont des indices du dynamisme artistique et culturel du quartier.

Vidéo : Le groupe culturel Baires au Café Margot. (2008) 6 mn 29s.

nullUne carte fournie, des spécialités incontournables :

Qui dit Café Margot dit sandwich de pavita, et de préférence à l’escabèche : c’est sur cette recette que le café a fondé sa légitimité, héritée de la Confiteria Trianon : sur chaque mur, cela nous est rappelé : c’est en ce lieu qu’a été inventé le sandwich de dinde, rien que cela. Le « traditionnel » ($31) se déguste avec tomates et laitue, il est savoureux, mais peut-être pas si exceptionnel : les attentes seraient moindre si on n’en parlait pas tant. La recette consiste en une sorte de chiffonnade de dinde, macérée et cuite dans du vin blanc, du vinaigre, du piment, et diverses herbes aromatiques : les recettes sont aussi nombreuses que les restaurants qui les proposent.

Autre grande spécialité affichée : le strudel de manzana ($27), de pommes, et ce qui est valable pour le sandwich l’est aussi pour lui. Ce café fabrique également ses propres bières artisanales : blonde ($16), noire et « colorada » (disons rosée) ($18), pour accompagner la suggestion du jour ($30). La carte est variée : de sandwichs traditionnels (de $19 à $40),(plus de 30 façons de concevoir le sandwich de dinde, mais aussi d’autres viandes, dont la milanesa), avec de nombreux types de pain au choix, des hamburgers, des salades, des pâtes faites maisons et autres ravioles (de $23 à $34), les traditionnelles parrillas a la lena (de $21 à $95). Sans oublier une autre spécialité : les picadas, ces assiettes de mets à partager (de $59 à $85), composée de fromages, charcuterie, olives, etc.

Pour le petit déjeuner, la liste impressionnante des boissons chaudes, dont une bonne partie est composée des nombreux « cafés spéciaux » (alcoolisés ou non, $28), saura satisfaire tout le monde, ainsi que les nombreuses pâtisseries.

Au rayon des boissons, la carte des vins est large, elle est complétée par diverses liqueurs, et des cocktails plutôt classiques.

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Photo : Le sandwich de pavita. Photo Suzanne Raucy.

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Photos : Intérieur du café Margot. Photos Suzanne Raucy. Juillet 2012.

nullLes conseils :

En somme, le Café Margot est un lieu riche et animé, agréable et authentique à tout moment de la journée : celui du petit déjeuner sera plus calme et plus intime, seuls les habitués occuperont les tables au soleil, prenant le temps de boire un café accompagné de medialunas. L’heure du déjeuner sera plus agitée, mais le service est efficace et rapide, et là encore, personne n’a l’air vraiment pressé. En fin d’après-midi, lorsque les lumières s’allument, l’atmosphère se modifie, les teintes sont chaleureuses. Le soir, pour le dîner ou prendre un verre, le lieu est idéal entre amis.

 

Adresse : Boedo 857 (Esquina San Ignacio y Boedo), dans le barrio de Boedo. Tel. : 011 4957 0001

Horaires : Ouvert tous les jours, du dimanche au jeudi de 8h à 2h du matin, les vendredis et samedis de 8h à 4h du matin.

Site web. : http://www.cafemargot.com.ar/que-notable.php

Budget moyen : (En juillet 2012) Compter une centaine de pesos pour un repas complet (plat, dessert et boisson). La formule classique café et medialunas est à 17 pesos. Le rapport qualité/prix est satisfaisant, ce qui explique en partie le succès populaire de ce café-restaurant.

Bus : 160. 115. 127. 128. 75. 7. Métro : Linea E

Pour en lire un peu plus sur le sujet :  http://www.periodicodesdeboedo.com.ar/2010/11/el-margot-sitio-de-interes-cultural/

 

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