Mise à jour : 26 mai 2013.

nullL'obélisque, l'icône d'une ville :

L’Obélisque de Buenos Aires reste une des icones de la ville. Si par contre il n’a aucune utilité, on voit mal aujourd’hui cette ville s’en passer. Une sorte d’orgueil de puissance à l’image de cet élément (pour rester poli) haut de 37 m qui s’élance vers le ciel au centre de l’officielle Plaza Republica  que personne n’appelle jamais de ce nom. Pour les Porteños, el Obelisco est devenu en lui-même un « lieu dit », c’est le centre de la ville séparant au milieu de cette énorme et large avenue 9 de Julio ce qui est le microcentro du macrocentro.

nullLa Diagonal Norte :  

 

Nous sommes dans les années 1930, la ville de Buenos Aires a dans ces cartons (depuis a fin des années 1910) de nombreux projets d’élargissement d’avenues (Cordoba, Corrientes, Santa Fe, etc…). Les derniers grands travaux d’urbanisation (Avenida de Mayo) eurent lieu il y a  déjà plus de 20 ans (1895 - 1910) pour le centenaire de la République Argentine. Tout un symbole. D’un coté l’avenida de Mayo reliant le pouvoir exécutif (la Casa Rosada) au pouvoir législatif (Palacio Congreso). Dans les années 1920, on décide de tracer une autre nouvelle avenue, la Diagonal Norte partant de la Plaza de Mayo et reliant la Plaza Lavalle face au Tribunal de Justice. Cette fois la symbolique est de relier par cette Diagonal Norte le pouvoir exécutif de la Casa Rosada au tout Nouveau palais de Justice de Tribunales sur cette plaza Lavalle.

A l’intersection de cette nouvelle avenida Diagonal et l’axe de la calle Corrientes qui a déjà dès 1931 le projet de s’élargir pour devenir la avenida Corrientes, on décide de raser 2 cuadras (dont l'église San Nicolas de Bari) pour y créer la « Plaza Republica » et surtout d’y dresser donc l'Obélisque.

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Photo Montage : Vue de la Plaza Republica avec son Obélisque si l'Eglise de San Nicolas de Bari n'avait pas été démolie en 1931. 

nullOn rase gratis à l’angle de Corrientes et de Pellegrini :

 

Début des démolitions des deux blocs compris entre les calles Cerrito, Lavalle, Sarmiento et Pelegrini en 1931. Pas de chance pour l’église de San Nicolas de Bari qui depuis sa rénovation de 1767 veille sur ses ouailles. Cette église a même donné le nom à son quartier « Barrio San Nicolas ». Mais en cette année 1931, il n’existe pas encore le concept de bâtiment historique (mis en place en 1940) qui aurait pu sauver des bulldozers cette église qui suivant la légende issa pour la première fois en haut de ses clochers le drapeau argentin tout fraichement adopté le 23 aout 1812. Qu’importe l’histoire et les références historiques en cette toute nouvelle décade des années 30 où triomphent le fonctionnalisme et le modernisme, on rase le passé pour permettre à la nouvelle architecture rationaliste de montrer sa puissance.

 

nullUne place toute nue :

 

Les démolitions vont vite est dès 1932, nous voila avec une place rectangulaire 200 m x 100 m  axé sur la calle Corrientes et la Diagonal Norte. On ne sait qu’en faire. Un paysage urbain dévasté, quelques photos de l’époque montre 2 hectares lisses entourés de ruines de bâtiments encore debout mais à l’avenir incertain. Des images qui rappellent 10 ans avant des photos de villes européennes bombardées. On place dans un premier temps, un rond point bétonné que seule une ligne de tramway perce.

C’est alors que la mairie de Buenos Aires lance toute une série de concours pour trouver à la fois une justification à cette place et même un nouveau plan d’aménagement urbain au quartier. Les idées se bousculent, anciennes (dès 1885, on avait eu des idées sur le sujet) et nouvelles. Pour ce qui est des anciennes, l’idée d’une avenue la plus large du monde (toujours aussi mégalo à Buenos Aires, un vieux projet datant déjà de 1890 étant resté au fond d’un tiroir) qui se servirait de cet embryon de place pour tracer (donc démolir à nouveau) toutes les manzanas (blocs) se situant  à la fois au nord et au sud de la fraiche Plaza Republica. Comme ça on justifie ce cratère vide de place au milieu d’un tissu urbain alors dense. Quant à l’idée nouvelle, c’est de placer au centre de notre bonne nouvelle Plaza Republica un élément décoratif, bassin, fontaine, bâtiment, ornementation, etc…. En clair, un « truc » qui ne sert à rien sur une place qui ne sert à rien non plus ! On pense tout d’abord à une statue gigantesque ou en tout cas a quelque chose de « costaud » qui peut se voir de loin à la gloire de Hipolito Yrigoyen (ancien président de la République renversé en 1930 et mort en 1933). En 1933, on est en pleine fièvre démocratique après la fin du gouvernement militaire de Uriburu (en 1932) et surtout la mort de Yrigoyen (justement renversé en 1930 par Uriburu). En juillet 1933, deuil national pour Yrigoyen (alors qu’il était alité chez lui à Buenos Aires en état « d’arrestation à domicile », et son parti politique l’UCR s’enflamme pour monter au plus vite sur cette « place qui ne sert à rien » un monument à sa gloire. Le gouvernement en place en 1933 d’Agustin Pedro Justo, général, mais certainement plus pragmatique et plus ouvert à des alliances avec la gauche, n’ira tout de même pas à accepter à édifier un monument à Yrigoyen. Pendant le même temps le maire de Buenos Aires (de 1932 à 1938), Mariano de Vedia y Mitre, avocat, intellectuel mais tout de même très encré à droite et à l’épiscopat veut profiter de son mandat pour lancer Buenos Aires dans de grands travaux. C’est lui qui va promouvoir le projet de monter un obélisque et va passer la commande à l’architecte de Tucuman d’origine allemande Alberto Prebisch.

Photo du haut : La Plaza Republica en 1932. L'église San Nicolas de Bari est démolie. Un unique rond point au centre de la nouvelle place. Seule une voie de tranway la transperce pour se faufiler ensuite dans l'étroite calle Corrientes vers le micro centre au fond. Le gros batiment le plus haut à doite de la calle Corrientes existe encore aujourd'hui c'est l'Edificio Trust datant de 1925. Par contre à gauche de la calle Corrientes, se trouve les grands magasins "A la Ciudad de Londres" installés à cet angle en 1910 et qui seront démolis pour l'elargissement de l'avenida Corrientes en

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Photos : Les deux photos à quelques mois d'espace. A gauche l'Eglise de San Nicolas de Bari avant sa démolition. A droite, une vue du même endroit avec un angle un peu plus élevé, la même église totalement détruite, il ne reste plus que le clocher. Ces deux photos sont de 1931. Au fond à droite sur les deux photos le même immeuble avec une publicité Firestone. Sur la photo de droite, on voit le percement de Diagonal Norte qui arrive sur la Plaza Lavalle.  

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Photos : La plaza Republica en 1936 à quelques semaines près. A gauche avant le début du chantier de la construction de l'obélisque. A droite au début du chantier. Le tramway ne passe plus au centre mais fait le tour du rond point.

nullLe projet contesté confié à Alberto Prebisch :

 

Alberto Prebisch a fait ses études à l’école d’architecture de Buenos Aires d’où il sort avec le diplôme sous le bras en 1921. Il retourne dans sa ville natale après un voyage de deux ans en Europe, et un de ses premiers projets les plus important fut le Marché de Tucuman en 1927 de style néo colonial.  Sa position de moderniste est assez critiquée au niveau de ses collègues architectes plus lié au style académiqueue. Sa principale cible fut souvent l’architecte Alejandro Christophersen au gout académique pourtant en vogue à Buenos Aires mais trop classique pour Prebisch. En 1933 et 1934, il voyage aux Etats Unis où il va se nourrir de nouvelles idées modernistes tant au niveau architectural qu’urbanistique. Il va même écrire un livre “Urbanismo en los Estados Unidos de Norteamérica” A son retour en Argentine, il retrouve un de ses anciens amis Atilio Dell´Oro Maini qui à un poste important à la Municipalité de Buenos Aires et qui lui soumet l’idée d’édifier un obélisque. C’est une montée de critiques des intellectuels de l’époque qui dans sa grande majorité refusèrent le symbole même de l’obélisque. L’ingénieur Benito Carrasco déclara ““todo obelisco tiene una significación determinada, dentro de su lugar y punto de significación. Todos los obeliscos del mundo tienen un sentido histórico, artístico, recordatorio, monumental, etc. El obelisco es la conmemoración de un hecho, de una victoria, de una civilización, de un ideal, de algo, en fin. ¿Qué simboliza? Pues bien, el problema del futuro y desgraciadamente próximo obelisco es: ¿qué representa? Si algo tiene que simbolizar, ¿qué simboliza? Nada. Absolutamente nada…”. (Tout obélisque a une signification déterminée, pour le lieu et sa signification.  Tous les obélisques du monde ont un sens historique, artistique, commémoratif,  monumental, etc. L’Obélisque c’est la commémoration d’un fait, d’une victoire, d’une civilisation, d’un idéal, de quelque chose en soit. Que symbolise-t-il ? Le problème du futur et non désiré prochain obélisque est : Que symbolise-t-il ? S’il doit symboliser quelque chose, que symbolise-t-il? Rien ! Absolument rien !

Un autre architecte connu Alejandro Bustillo est tres critique envers le projet de Prebisch, ne tarda pas non plus à affirmer qu’il n’était partisan de ce « camouflage » de bâtiment.

Les discussions entre pro et contra eurent lieu encore au moins 4 ans après l’édification, jusqu’en 1940, ou par habitude ou même par lassitude, le thème finit par ne plus intéresser.

nullUn chantier express :

 

Les travaux commencèrent le 20 mars 1936 pour se terminer le 23 mai. Tout juste 2 mois pour monter la structure métallique et de béton et la recouvrir de pierre agrafée. Il est juste aussi de préciser que comme le monument est creux, sans plancher, sans ascenseur, uniquement pourvu d’une porte au sol coté ouest et d’un escalier de 206 marches menant à deux petites ouvertures au sommet, sa construction fut d’une simplicité et d’une rapidité qui étonna tous les porteños.

La construction fut confiée à un consortium allemand formé par la Compañía General de Obras Públicas S.A, Siemens Bauunion et Grün & Bilfinger. Structure métallique, ciment a séchage rapide et enfin Pierre blanche de parement de type Olaen provenant de la province de Cordoba près de La Falda.

 

Photo : Les premiers jours de la construction de l'obelisque de Buenos Aires en mars 1936.

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Photos : L'Obélisque presque monté. A gauche sur la Plaza Republica, à droite, prise de vue faite sur l'avenida Corrientes aussi en chantier d'élargissement.

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Photo : Inauguration de l'obélisque en 1936.

nullPremières fissures en 1938 :

 

Grande peur dans la nuit du 20 au 21 juin 1938, quand des pierres se sont décrochées pour aller aplatir les gradins en bois montés pour recevoir juste la veille une cérémonie où étaient présents de très nombreux collégiens. Il a été alors décidé de changer au plus vite toutes les pierres par du ciment en gardant le dessin des joints pour ne pas changer la physionomie de la structure. En changeant le revêtement, une pierre qui portait l’inscription «Alberto Prebisch fue su arquitecto» (Alberto Prebisch en fut son architecte » ne fut pas remplacée. Voulu ou non ? Dernière vengeance de ses détracteurs ?

 

Photo : On demonte rapidement les plaques de pierre sous l'oeil des badauds.

nullEn 1939, on veut le démolir :

 

Une ordonnance de juin 1939, voté au conseil de la Ville, à 23 voix en faveur contre 3, décide de démolir l’Obélisque pour raisons économiques, esthétiques et de sécurité. Le maire Arturo Goyaneche (en place depuis février 1938) applique son véto, et l’Obélisque reste en place.

Toujours en cette année 1939, un petit malin arrive à grimper jusqu’en haut pour y placer un drapeau argentin, puis quelques mois plus tard un autre y monte pour vouloir s’en précipiter si on ne lui offre pas de travail.

 

Photo : Jusqu'en 1940, l'obélisque sera entourée de ruines en démolition pour creer la nouvelle avenida 9 de Julio. (Cliquez sur la photo pour agrandir)

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Photo : En 1970, il n'y a plus de rond point depuis 1962 mais un parvis autour de l'Obélisque. Un an avant de tracer au centre deux voies dans l'axe de l'avenida Corrientes pour faciliter la circulation.

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L’Obélisque enfin accepté comme icône de la ville :

 

C’est enfin dans les années 40 que les habitants de Buenos Aires font la paix avec leur obélisque. Les critiques se calment et puisqu’il est là, on s’en sert !

En 1962, le rond point entourant l'obélisque au sol, s'elargit pour faciliter la circulation des véhicules et prend une forme éliptique. En 1971, à nouveau pour faciliter la circulation dans l'axe de l'avenida Corrientes on trace deux voies contournant l'Obélisque dans le rond point.

La ville de Buenos Aires va profiter de l'Obélisque pour le décorer de manières quelque fois surprenantes pour des fêtes et des événements les plus variés. En 1973, on le transforme en arbre de Noel; en 1975, un énorme anneau tourne à mi hauteur de l'Obélisque clamant à la fois «Le silence c’est la sante !» et de l’autre coté «Maintenez Buenos Aires propre ! ». Dans les années 80, on commence à le taguer, alors en 1987 on le protège pour l’entourer par une grille. En 1998, une équipe de Greenpeace l’escalade pour y déplier une banderole « Sauvez le climat ! ». En décembre 2005, et ça tous s’en souviennent encore, on chapote l’obélisque d’un énorme préservatif rose de 37 m pour le jour mondial de la lutte contre le SIDA. Enfin en décembre 2007, pour les 150 ans de la relation entre l’Allemagne et l’Argentine, on entoura l’Obélisque par une énorme bâche aux couleurs des drapeaux des deux pays.

Photo ci dessus : L'Obélisque en 1975. Les voies de circulation dans l'axe de l'avenida Corrientes sont en place.

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Que représente-t-il aujourd’hui ?

 

S’il ne sert toujours à rien, on ne critique plus son esthétique. On peut dire à une échelle moindre que l’Obélisque est à Buenos Aires, ce que la Tour Eiffel est pour Paris. On va le voir, on en fait une photo et on est content. Aujourd’hui le pauvre est entouré en journée presque en permanence par le trafic dense des automobiles. Les piétons s’en écartent pour passer plutôt de préférence sur les deux autres terre-pleins l’entourant. Quant aux habitants, ils savent qu’il est là, car même en passant en voiture ou en bus à ses pieds, on ne le regarde plus par habitude de l’avoir déjà vu.

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nullLes conseils du petit Hergé.

 

Encore heureux qu’il soit bien placé dans la ville. Car sinon qui irait le voir s’il était disposé loin du centre ? Si vous vous promenez sur avenida Corrientes vous êtes sur de tomber dessus, de même si vous partez de la Plaza de Mayo est vous remontez la Diagonal Norte vous l’aurez a nouveau en face de vous. Vous voulez visiter le Teatro Colon ? De nouveau vous n’aurez qu’à tourner la tête et vous l’apercevez ! Une sorte de fantôme blanc qui hante et hantera encore longtemps le quartier de San Nicolas. Faites comme tout le monde allez vous prendre en photo devant ! Le cliché total, le cliché incontournable, le cliché à la mode depuis 75 ans !

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