Mise à jour : 18 septembre 2012. Article écrit par Nicolas Piquet Gauthier.

nullJuan Manuel Fangio :

 

" Il faut essayer d’être le meilleur, mais jamais croire qu’on l’est ", Juan Manuel Fangio. Ce pilote était indéniablement le meilleur de son temps mais il ne s’est jamais considéré comme tel. Cet homme d’exception était sur la piste un véritable fauve prêt à tout pour gagner mais dès qu’il quittait son baquet, on découvrait là un homme simple et humble. Pour comprendre cette double personnalité, je crois qu’il faut remonter à son enfance.

nullUne famille venue des Abruzzes :

Originaire de la région des Abruzzes en Italie, le grand-père de Juan manuel tenta l’aventure américaine en 1887 près de Balcarce (à 400 Kms de Buenos Aires). Pari gagné pour cet italien qui a misé sur l’agriculture puisque trois ans plus tard sa famille le rejoint pour s’installer définitivement en Argentine. Son troisième fils Loreto Fangio se marie à 19 ans avec Herminia Deramo, une italienne originaire d’une autre famille des Azures. Ce jeune couple donne naissance le 24 juin 1911 (même si par erreur il est né le 23 juin sur les registres de Balcarce) à Juan Manuel le quatrième de leurs six enfants : José, Herminia, Juan Manuel, Carmen, Celia et Rubio. Il doit son nom à son jour de naissance, la San Juan et au royalisme de son père Loreto qui en hommage au Roi d’Italie choisit Manuel. Il fut aussi souvent surnommé affectueusement « el chueco » (le tordu)  par ses proches à cause de ses jambes arquées.

 A six ans, Juan Manuel fit sa rentrée au primaire à l’école n°4 de Bacarce dirigé par le maitre Meliton Lozano. Bien que ne voulant pas être maçon comme son père, Juan Manuel aidait son père à son travail avant que celui-ci lui trouve un poste d’apprenti dans la forge de Fransisco Cerri en 1921. Deux ans plus tard, il laissa l’enclume pour s’intéresser à la mécanique en intégrant le garage de Capettini. Il commence alors à se familiariser avec « ces machines infernales » venues de l’autre côté de l’océan. Devant laver les pièces des moteurs, il découvrit alors comment les pièces s’articulaient les unes les autres. C’est là aussi qu’il apprit les rudiments du pilotage d’une automobile à seulement 11 ans. Plutôt précoce le garçon ! L’année suivante, il intégra la concession Rugby de Carlini, un coureur automobile de la région. Avec lui, il affuta sa technique de pilotage en conduisant sa camionnette lorsqu’ils allaient à la chasse. De plus, Carlini accompagné de « el chueco » devait se déplacer dans toute la région pour réparer des machines agricoles, ce qui permit à Juan Manuel d’augmenter son expérience de la conduite.

Vidéo : Juan Manuel Fangio 1ère partie /sur 4. 10 mn 54 s.

nullMécanicien à 13 ans :

Après un rapide passage dans la succursale Ford de Estevez, il devint à 13 ans l’apprenti mécanicien de Miguel Viggiano, un pilote local. Ce dernier travaillait pour le compte de la concession Studebaker. Ce fut alors l’occasion pour Juan Manuel de préciser sa technique de pilotage. Devant parcourir la campagne sur des routes parfois poussiéreuses, boueuses pour aller chercher des pièces dans les villages voisins, il se frotta à tout type de terrain : une véritable école de la conduite. D’autre part, Viggiano lui enseigna l’art de la mécanique : l’ajustement parfait des différentes pièces d’un moteur pour qu’il tourne comme une horloge. Grâce à ses nombreuses heures passées à travailler en plus de l’école, Juan Manuel put s’offrir sa première voiture en 1927 : une Overland à quatre cylindres. Mais victime d’une maladie proche de la tuberculose, il dut passer toute une année au fond de son lit. Remis sur pied sans séquelle, il se prit de passion pour le football et joua pour le club de Rivadavia avant d’intégrer en 1933 la sélection de Balcarce.

nullEncouragé et aidé par son père et ses amis, il monta à 21 ans avec l’un de ses proches José Duffard son propre garage. Ses amis lui achetèrent les outils nécessaires, son père une partie du terrain et Francisco Cavalloti un ami du football lui fit don d’un vieux camion. En effet, Fangio de part son caractère jovial et sympathique avait beaucoup d’amis qui l’ont constamment soutenu et aidé. Sans eux, il n’aurait pas pu réaliser ce qu’il a fait. « A l’automobile je lui dois tout ce que j’ai, ce qui est beaucoup. Mes amis sont venus à moi grâce à l’automobile, c’est ainsi que j’ai pu acquérir mon premier garage. Mes amis qui à maintes reprises firent bien plus que ça, ce qui est déjà beaucoup ».

Les premières courses :

Le 24 octobre 1936, il participa à sa première course automobile au volant d’une Ford A de 1929 dégoté par ses amis. Malgré son abandon à deux tours de l’arrivée, grâce au réseau de ses amis convaincus de son talent, il courra par la suite de nombreuses courses régionales non-officielles à bord de différentes voitures. C’est en 1940 qu’il connaît son premier succès lorsqu’il gagne les 9445 Kms du Grand Prix International du Nord sur des routes allant de Buenos Aires à Lima. Le coéquipier de sa Chevrolet, Oscar Galvez devint alors à partir de cette course son plus proche ami jusqu’à la fin de ses jours. En fin d’année, il obtint son premier titre de champion d’Argentine de Carreteras (épreuves très populaires de plusieurs centaines de kilomètres, disputées sur des routes sinueuses et caillouteuses, aussi éprouvantes pour les machines que pour les organismes). Titre qu’il conserva en 1941 avant que la seconde guerre mondiale n’éclate et mette fin aux courses automobiles en Argentine pour cause de rationnement.

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Photo : Benito Juarez, le 24 octobre 1936. Fangio est dans la voiture "19".

nullLe soutien de Perón :

Mais avec l’arrivée au pouvoir du Général Peron à la sortie de la guerre en 1946, sa carrière va prendre une toute autre dimension. En effet, le Général étant un grand amateur de sport automobile, il lance ainsi l'idée d'organiser en Argentine une saison de course sur circuit (une temporada) au cours de laquelle les meilleurs pilotes mondiaux viendraient se frotter aux gloires locales. Soutenu par l’Automobile Club d’Argentine (ACA) en 1948, Fangio s’illustre en rivalisant avec les meilleurs. Il obtint alors son billet pour l’Europe et participe à sa première course de Formule 1 au volant d’une Gordini à Reims le 18 juillet 1948. D’autre part, Peron, voulant faire du sport automobile un outil de prestige pour l’Argentine, finance l’ACA qui constitue ainsi en 1949 une équipe d’Argentine compétitrice pour courir en Europe. Fangio enchaina alors les succès (San Remo, Monza…) ce qui lui permet de décrocher un volant de pilote officiel au sein de l'écurie Alfa Romeo pour la saison 1950 et le tout premier championnat du monde de Formule 1.

nullCarrière internationale sur Alfa Romeo et Mercedes :

C’est là le début de sa grande carrière internationale. Après un premier titre de champion du monde en 1951 avec Alfa Romeo puis deux ans d’absence dues à un grave accident le 8 juin 1952 à Monza (où il frôla la paralysie), il rejoignit l’écurie Mercedes en 1954, ce qui marque le début d’une proche collaboration qui durera jusqu’à ses derniers jours. Sous les couleurs de la firme à l’étoile, il vit là l’apogée de sa carrière en écrasant toute concurrence et s’adjugeant alors deux titres de champions du monde en 1954 et 1955. A 44 ans, Fangio pense alors profiter du retrait de Mercedes de la Formule 1 pour mettre un terme à sa carrière. Mais le renversement de Peron en septembre 1955 compromet ses plans. En effet, étant l’un des « protégés » du président déchu, il préfère rester courir en Europe plutôt que de rentrer dans son pays où le gouvernement lui est hostile. Il rejoint alors l’écurie Ferrari pour la saison 1956 où il gagna sans briller son quatrième titre mondial. L’ambiance détestable qui régnait au sein de l’écurie provoqua son départ pour Maserati lors de la saison 57. Il réalisa là, la plus belle saison de sa carrière couronnée par une course d’anthologie à Nurburgring où il reprit 45 secondes de retard aux leaders après un ennui mécanique pour signer sa 24ème et dernière victoire de sa carrière en Formule 1. Il est champion du monde pour la cinquième fois alors qu’il reste deux grands prix à disputer !

Vidéo : Juan Manuel Fangio en 1950 à Modena a bord d'une Ferrari 250 F

nullPris en otage à Cuba :

A 47 ans, il se retire alors progressivement du sport automobile. Il participe seulement à quelques courses dans diverses catégories dont le Grand Prix de La Havane à Cuba  où il est séquestré le 23 février 1958 par le mouvement du 26 juillet mené par Fidel Castro. Gardé en otage pendant 27 heures, il fut très bien traité et n’eut jamais peur pour sa vie. Au contraire, il confia à ses agresseurs qu’ils lui avaient peut-être sauvé la vie lorsqu’il apprit que la course à laquelle il devait participer avait été interrompue à la suite d’un terrible accident causant la mort de six pilotes. Cet événement fut un merveilleux coup de publicité pour les rebelles et pour Fangio. Celui-ci confia une semaine plus tard : « J’avais gagné cinq championnats du monde, j’avais couru et gagné à Sebring mais la prise d’otage à Cuba fut ce qui me rendit le plus célèbre aux Etats-Unis ». Depuis el 58 (séquestration de Fangio à Cuba), le champion garda de très bonnes relations avec les castristes. Ainsi, en tant qu’invité d’honneur il se rendit à Cuba en 1981 et de la même manière Arnold Rodriguez (un des séquestreurs de 58) fut invité en 1992 pour la célébration du sixième anniversaire du musée construit en hommage au pilote. 

A la fin de sa carrière, Fangio reçut un nombre incalculable de prix. Parmi eux, celui du « citoyen illustre de la ville de Buenos Aires » en 1973 (en même temps que Jorge Luis Borges) ou encore en 2007 celui du « plus grand argentin de tous les temps » devant René Favaloro et José de San Martin. De plus, le musée de Balcarce qui rassemble tous ses trophées fut inauguré en son honneur en 1986.

nullPolémique politique et sentimentale :

Ainsi, Fangio fait partie de ses légendes immortelles que l’on peut seulement aduler et non critiquer. Pourtant, quelques pans de sa vie restent occultes. En effet, Fangio ayant toujours été proche de l’enseigne à l’étoile, il fut nommé en 1974 Président de Mercedes-Benz d’Argentine et même Président d’honneur à vie en 1987 ce qui explique la construction de sa statue par Joaquim Ros Sabata devant le siège de la marque à Puerto Madero. Or sous la dictature de Videla, Mercedes a un passé peu glorieux : 14 employés « disparus » en novembre 1975, appropriations de mineurs, contrats avec la dictature… Cependant, Fangio président à l’époque semble passer à travers les mailles du filet comme le montrent les deux rapports rédigés sur sa vie à l’occasion de son centenaire par Fernando de Andreis et Avelino Tamargo qui omettent la période de 1973 à 1980. Certes, quelques voix se sont élevées à l’encontre de ces rapports comme la député Delia Bisutti ou encore des membres de la Defensoría Adjunta del Pueblo porteña (Défense adjointe du peuple de Buenos Aires) mais finalement sans grand succès. Pourtant, cela semble évident que Fangio savait ce qui se passait au sein de Son entreprise. D’autant plus qu’en mai 1977, Fangio a accompagné Videla au Vénézuela pour promouvoir les actions du gouvernement. Sur ces faits, Fangio n’a jamais voulu s’exprimer.

Moins polémique mais tout aussi occulte, Fangio officiellement n’a jamais eu de femme ni d’enfant. Mais vers 1935, il commença à fréquenter Andrea Beba Berruet aussi originaire de Balcarce et donna naissance en 1938 à Oscar Cacho Fangio connu sous le nom de Oscar Cacho Espinosa. Pendant sa carrière, il voyait chaque été son fils confié à la sœur de Andrea Berruet et retrouvait sa compagne dans leur appartement sur Talcahuano (qu’il a d’ailleurs conservé jusqu’à la fin de sa vie). Mais à partir de son retrait des pistes, la relation s’est dégradée et ils ont rompu en 1960. Depuis cette date, Fangio n’a jamais souhaité revoir son fils caché, ni nommé son ex-compagne. Il confiera seulement à 80 ans que son seul regret dans sa vie fut de n’avoir pas pu fonder de famille !

El Maestro est une légende vivante du sport automobile comme en témoignent les trois jours de deuil national déclarés à sa mort. Mais dans toute légende il y a une part d’inconnu, et Fangio n’échappe pas à cette règle !

Vidéo : Fangio sur Ferrari à Monte Carlo en 1957.

nullFangio en chiffres :

Né le 24 Juin 1911 à Balcarce, mort le 17 juillet 1995 (3 jours de deuil national) à Buenos Aires mais enterré avec sa famille à Balcarce

200 courses dont 80 victoires de 1929 à 1958 (pour l’anecdote il passa son permis de conduire en 1961)

49 voitures de course différentes

2 titres de Turismo Carretera en 1940 et 1941 sur Ford et Chevrolet

5 titres de champion du monde de Formule 1 avec quatre équipes différentes (Alfa Romeo, Mercedes Benz, Lancia Ferrari, Maserati)

24 victoires en Formule 1 pour 51 Grands Prix disputés ce qui lui vaut encore le meilleur classement à la moyenne devant Ascari et Schumacher

Film : Fangio réalisé en 1971 par Hugh Hudson

Livre : Siglo Fangio, écrit par Elias Perugino en 2011

Musée Fangio : construit par Antonio Eduardo Mandiola, inauguré en 1986 Adresse : Dardo Rocha (18)  esq. Miltre (17) – Balcarce

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