L'avortement en Argentine
20 déc. 2011Mise à jour : 20 décembre 2011. Article écrit par Laurence Hilleret.
L’Argentine qui se veut un pays progressiste, au regard par exemple de la légalisation du mariage homosexuel, n’en reste pas moins dans « le bas » du classement quand il s’agit de la question de l’avortement. En effet, il est toujours illégal d’avorter en Argentine. Pour certains, me direz-vous, la légalisation de l’avortement n’est pas synonyme de progrès. Mais qu’on soit pour ou contre, la question se pose et elle en soulève d’autres : Quels arguments avance le gouvernement pour légitimité l’interdiction de l’avortement ? Y a-t-il eut débat ? Si oui, où en sont les discussions ? Le cas de l’Argentine est-il isolé ou monnaie courante dans la catholique Amérique du Sud ? (on a ici déjà une idée de réponse)… Et bien d’autres. |
- On estime à 460 000 le nombre d’avortements clandestins pratiqués par an (soit environ 40% des grossesses) pour la majorité réalisés dans de mauvaises conditions sanitaires. - Depuis 1983, 3 000 femmes sont décédées des suites d’un avortement clandestins et près de 80 000 femmes sont hospitalisées chaque année à cause des complications induites par ces mauvaises conditions (et elles doivent alors faire face à des peines d’emprisonnement). - Les complications dues à l’avortement sont la première cause de mortalité maternelle argentine (à hauteur de 30% soit près de 100 femmes par an). Il convient de noter que dans le cas de mort à la suite d’avortement à complications, les autorités ne sont pas informées. Ainsi, en juin 2007 le Ministère de la Santé a lancé une étude en utilisant des méthodes indirectes qui a aboutit à montrer que sur 1000 femmes, près de 60 avortent un jour. Cependant, ces chiffres sont remis en cause par d’autres analystes au vue notamment de l’impossibilité de chiffrer les avortements clandestins. 1 femme sur 10 tombe enceinte parce qu’elle le souhaite. Cela souligne notamment le problème de la contraception, mal pratiquée en Argentine. - Un avortement clandestin est estimé à environ 1000 US$ sur le marché noir, ce qui entraine naturellement un fossé entre les femmes qui peuvent se le payer et les autres qui avortent dans des conditions encore plus déplorables. |
Photo : Slogans des anti-avortements en Argentine, avec manifestations devant le Congreso de Buenos Aires en novembre 2011. |
L’avortement en Argentine est considéré comme un « crime contre la vie » selon l’article 1 chapitre 1 du code Pénal et est donc punissable par la loi de une à quatre année de prison pour quiconque réalise ou coopère dans la pratique d’un avortement en vertu d’une loi vieille de 80 ans (même s’il y a quelques mineures exceptions). En effet, il est établit que « l’enfant à naître est un être humain dont l’existence commence au moment de sa conception. Du point de vue juridique c’est un être qui a des droits comme le reconnaît la constitution nationale, les traités internationaux et les différents codes nationaux et provinciaux de notre pays ». En fait, il n’y a que deux exceptions dans la loi argentine pour lesquelles l’avortement est toléré : - s’il est pratiqué afin d’éviter un danger pour la vie ou la santé de la mère et si ce danger ne peut être évité par d’autres moyens (Code Pénal Argentin Art. 86 inc 1- avortement thérapeutique) - si la grossesse provient d’un viol ou d’une atteinte à la pudeur commis sur une femme démente. Dans ce cas, le consentement de son représentant légal est requis pour l’avortement (CPA Art.86 inc 2).
L’Argentine fait en effet partie des 14% de la population mondiale pour qui l’avortement est permis seulement pour préserver la santé de la femme (sachant que 25% de la population se voit interdire formellement le droit d’avorter soit 36 pays). Elle qui se veut progressiste et plus « occidentale » que ses voisins n’en reste pas moins dans la moyenne des pays « en développement » de l’hémisphère sud qui interdisent tous plus ou moins l’avortement. Dans la réalité, rien que les histoires sordides de fillettes violée et tombée enceinte à qui ont refuse le droit d’avorter sous peine de lourdes peines d’emprisonnement sont bien trop nombreuses en Argentine. |
Vidéo : Presentation sur Canal 7 (Television de l'Etat) du debat entre pro et anti avortement au Congreso. |
La députée Cecilia Merchan est celle qui a impulsé un projet de loi de dépénalisation de l’avortement (qui le permettrait jusqu’à la 12 semaine de gestion du fœtus) qui fut discuté le 1er novembre 2011. C’était la première fois que la question de l’avortement était débattue au Congrès de la nation. Mercredi 1er novembre, des manifestations ont donc eu lieu dans la capitale pour manifester, pour les une en faveur, pour les autres contre le droit à l’avortement. Deux groupes antagonistes qui se déclarent tous deux en faveur de la vie et s’accusent mutuellement d’assassinat : des femmes pour l’un, des enfants pour l’autre. Mais les deux groupes s’accordent cependant sur un point : l’avortement est devenu aujourd’hui un problème de santé publique.
Autour du Congrès, le premier jour de débat sur la question de l’avortement a été vécu avec beaucoup d’intensité. Dans le groupe des « contre », on trouve des mères de familles catholiques, des étudiantes d’universités privées et des femmes enceintes qui brandissent des banderoles « Ne me tuer pas ». Il y a une problématique à résoudre, reconnaissent-elles, mais « s’il vous plaît, ne tuez pas les enfants ». Le camp des « pour », quant à lui, regroupe des militantes chevronnées qui déclarent « nous avons besoin de l’éducation sexuelle pour pouvoir décider, de contraceptifs pour ne pas avoir à avorter et de l’avortement pour ne pas mourir ». |
Vidéo : Manifestation le 1er novembre 2011 devant le Congreso de Buenos Aires. Les pros et les antis ! |
Le projet pour un avortement légal, sûr et gratuit compte le soutien d’une cinquantaine de députés. Il convient de noter que les opinions sur l’avortement ne sont pas communes à tous les membres d’un même parti, chacun ayant son idée propre. Cependant, quelques grandes figures se dégagent, ainsi dans le camp des « pro », on compte Diana Conti (ultra K), Vilma Ibarra (assimilée) et celui des contres Victoria Donda ou Claudia Gil Lozano (mais aussi Cristina Kirchner et Elsa Carrio). « Ce fut un jour historique » ont déclaré ceux qui se battent pour la dépénalisation. Cependant, le chemin est encore bien long pour ceux qui veulent un « débat sérieux pour éliminer les barrières légales qui actuellement empêchent les femmes de jouir pleinement de leurs droits et les soumettent à une inégalité injustifiée ».
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A lire dans le Petit Herge : Chaque grande métropole mondiale, dispose d’un lieu dans lequel la vie politique prend corps et prend forme. Tout se passe, en fait comme si la politique avait une maison, un endroit dans lequel, l’histoire s’écrivait ; un lieu dans lequel les combats, les idéologies des uns et des autres trouvaient leur place. (Lire la suite).
Le 5 mai 2010, après un débat de plus de 12 heures, les députés argentins ont accepté le projet de loi autorisant le mariage homosexuel en Argentine, à 125 voix pour, 109 contre et 6 abstentions. (Lire la suite).
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