Les enfants country de Buenos Aires
26 sept. 2011Mise à jour : 26 septembre 2011. Article écrit par Elodie Charrier.
Loin de l’effervescence de Buenos Aires, mais aussi de sa pollution, de son bruit, et de sa criminalité, il existe des quartiers ultra sécurisés appelés «country» ou « Barrios cerrados ». Ces quartiers verdoyants, souvent luxueux, sont en règle générale peuplés de grandes maisons avec piscine, d’immenses jardins, et de nombreuses installations sportives. Les plus grands possèdent même leurs propres collèges et lycées. On pourrait avoir l’impression de se promener dans n’importe quelle banlieue résidentielle située en périphérie d’une grande ville européenne. Les enfants sont dans les rues, font du vélo et du skateboard sans que les parents ne s’en inquiètent. Tout est très calme. Les voitures roulent au pas. Mais la grande différence avec nos quartiers résidentiels européens, c’est que ces quartiers sont fermés et surveillés. Caméras, hautes clôtures, barbelés, gardiens. Tout est là pour assurer une sécurité maximale aux habitants du quartier. Cependant la question qui se pose aujourd’hui est celle de l’éducation et de l’ouverture d’esprit des adolescents nés dans ces quartiers ultra sécurisés dans les années 1990 et n’en étant presque jamais sortis. Qui est-on lorsqu’on a vécu toute sa vie dans une chimère ? |
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A l’âge de 11 ou 13 ans, ils se sont souvent rendus une à deux fois à la capitale, pas plus. Le plus souvent ils ont pu visiter l’obélisque, ou la casa Rosada dans le cadre d’une visite scolaire. A l’âge de 15 ans, ils ne rêvent que d’une chose : aller à la capitale pour sortir, faire du shopping ! Car il est très difficile de faire sa crise d’adolescence dans un monde aussi fermé. Tout se sait. Mais bien entendu, s’ils souhaitent aller danser dans un boliche de la capitale, ou simplement se promener au centre ville, ils sont dépendants de leurs parents. Il y n’y a pas ou peu de bus pour rejoindre le centre ville, et même lorsqu’il y en a, ces adolescents n’osent ou ne savent tout simplement pas utiliser les transports en communs. Leur collège et lycées sont assez sélectifs, souvent privés, et chers. La plupart des « chicos country » apprennent l’anglais depuis leur plus jeune âge, environ trois ans. De nombreux échanges sont proposés avec des écoles et plus tard des universités anglaises de bon niveau. Un enseignement spécialisé et personnalisé est également proposé dans nombres d’entre eux. Un accompagnement des surdoués, ou des dyslexiques est par exemple proposé. Dans l’éducation de ces adolescents, un fort accent est mis sur les loisirs. En effet, ils bénéficient de beaucoup de temps libre pour faire du sport, apprendre la musique, ou lire, le plus souvent en anglais. Cependant cela ne fait pas de ces adolescents ou jeunes adultes des gens cultivés pour autant. Rares sont ceux qui ont déjà visité plus d’un musée, qui vont à la bibliothèque ou qui suivent l’actualité. Conscients de ce problème, certains collèges les poussent pourtant à lire l’actualité, et à se tenir informés. Ces collèges et lycées ne sont en rien une représentation fidèle de la réalité, puisque les chicos country d’un barrio apprennent à y connaitre les chicos country du barrio voisin. Ils deviennent amis, et tissent des liens entre chicos country. Peu d’entre eux connaissent des adolescents de l’extérieur. Tous sont un peu perdus lorsqu’il faut rejoindre la capitale fédérale. En effet tous ces jeunes se sentent comme des touristes à Buenos Aires. Ils ne connaissent ni les feux rouges, ni les bus, ni le métro… Certains ont peur de sortir la nuit, c’est-à-dire après 16h30 en hiver… D’autres ont même peur de traverser la route. |
Il existe d’autres « countries » que ceux de Buenos Aires. Cependant les « countries » portenos apparaissent comme bien plus fermés et conservateurs que ceux de Cordoba par exemple. Les psychologues ont parfois des témoignages effarants provenant des enfants de ces quartiers. Certains ne savent pas qu’il existe des maisons dépourvues de piscine, d’autres n’ont jamais mis les pieds dans la capitale fédérale, si bien que la visite de la ville fait partie des activités extrascolaires proposées à certains chicos country. |
Si l’avantage principal de ces quartiers semble être la sécurité, ils ont cependant eux aussi leur lot de criminalité. La sécurité est avant tout un élément marketing pour attirer les familles dans ces quartiers fermés. Des agressions, des vols, et même des meurtres ont été recensés en nombre croissant depuis 2007. Cependant la mentalité qu’adoptent les habitants de ces quartiers fait que peu de délits sont réellement recensés. En effet, rare sont ceux qui appellent la police. Sauf en cas d’extrême urgence ou de problème majeur, les faits ne sont donc pas rapportés. Le barrio cerrados devient donc l’endroit parfait pour quiconque souhaite réaliser un délit. |
Très bonne vidéo à voir : http://tn.com.ar/sociedad/0006404/los-chicos-country |
La vie dans les countries répond à des valeurs très conservatives. Les hommes travaillent, mais la plupart des femmes sont femmes au foyer. Parfois elles le sont par envie, mais le plus souvent c’est par nécessité compte tenu des distances qui les séparent de la grande ville la plus proche, de leurs travails, et du manque de transport en commun qui les oblige à prendre en charge tous les déplacements des enfants. Occupées à faire des allers et retours pour emmener les enfants à l’école ou à leurs diverses activités extrascolaires, elles passent le plus clair de leur temps à faire du sport, à lire, ou à voir leurs amies : les autres mères du country. Une fois les enfants arrivés à l’âge critique d’aller à l’université, la vie de ces femmes devient bien plus morose. Elles ne savent plus comment s’occuper et la solitude se fait cruellement ressentir. Un nombre croissant de dépression a d’ailleurs été recensé chez ses femmes qui finissent par tourner en rond dans leur quartier éloigné de la civilisation. Nombreux sont les films et les livres qui traitent du sujet des barrios cerrados. Les films « Una semana solos », “Cara de queso”, ainsi que le court métrage « la ciudad que huye », ou encore “Las viudas de los jueves”, issu du roman homonyme de Claudia Piñeiro, parlent de la vie à l’intérieur de ces quartiers. |
Il existe trois types de « country » en fonction de la surface du terrain qui entoure la maison. Les terrains les plus petits sont dans ce qui est nommé le « Barrio Cerrado » (Quartier bouclé). Au fil des années comme l’adjectif « cerrado » est devenu péjoratif, on emploie aujourd’hui plus souvent « Barrio Privado ». Ce sont en général des parcelles très petites (entre 300 et 600 m2) qui ne disposent que de très peu de jardin, ou d’un simple espace pour pouvoir y placer une piscine. Ensuite viennent les « country », proprement dit, qui disposent de parcelles plus grande, ou le gazon entoure la maison, ces parcelles sont plus ou moins aussi étendues que celle d’Europe (600 à 1000 m2). Ensuite viennent des « country » situé un peu plus loin de Buenos Aires (presque à la campagne) et qui a l’avantage de pouvoir offrir des parcelles nettement plus étendues (jusqu’à 1 hectare), ce sont les « Club de campo » ou « club de chacras ». Il existe aussi les « Megaemprendimientos », qui est le concept de recréer totalement un village de toute pièces, avec shoppings, restaurants, des fois ciné, centre commercial, golf, terrains de sports….. (Jusqu’à hippodrome), et puis le nec plus ultra, c’est le « Resort Countrie Club » qui souvent mêle aussi des installations hôtelières. Très difficile pour un touriste d’entrer dans un country, il faut montrer pate blanche, c'est-à-dire être invité par une personne qui y habite. Aussi autre solution, aller dans un country qui dispose de restaurants et demander à l’entrée du country si il est possible d’y déjeuner. Il faut bien sur impérativement posséder une voiture pour s’y rendre ! Chaque samedi dans le quotidien Clarin, existe un supplément « Countries » (Country est hispanisé depuis longtemps !). Toujours intéressant de jeter un coup d’œil dessus pour voir ce qui se passe dans ce microcosme. La majorité de ces countries (60%) à Buenos Aires se situent en banlieue nord, on compte au total dans les banlieues et jusqu’à 70 km de la capitale, presque toujours le long des autoroutes. Il existe en septembre 2011 dans les environs de Buenos Aires, 357 barrios privados, 149 countries, 46 clubs de chacras, 20 Megaemprendimientos, et 2 Resort Countrie Club. Pour en lire plus sur le sujet en espagnol : - Article du Clarin sur les Chicos Country daté du 19 février 2007. - Article de la Nacion sur les Chicos Country daté du 1er avril 2007. - Article de la Voz de Córdoba sur les Chicos Country daté du 08 mai 2011. - Article de los Andes de Mendoza sur les Chicos Country daté du 04 sept 2011. - Article du Clarin sur les Chicos Country daté du 04 septembre 2011. |
A lire dans le Petit Hergé :
Voilà une liste de quelques livres et guides qui vous aideront à comprendre l’Argentine et surtout à la visiter ! Inutile d’acheter des livres avant votre départ, profitez de vos premiers jours à Buenos Aires pour vous les procurer…(Pour lire la suite). |