Mise à jour : 07 août 2012. Article écrit par Vincent Ottenheimer de Gail

nullEl Banderín de Buenos Aires :

Nommé “café notable” de la ville de Buenos Aires le 26 octobre 2004, le café El Banderín se trouve calle Guardia Vieja au 3601, dans le poétique et romantique quartier d’Amalgro. Les murs du Banderín gardent consciencieusement depuis 1929 les traces des passionnées de football, de timbres, de cartes postales, de maillots… El Banderín regorge d’anecdotes de porteños et de provinciaux qui mêlent à l’Histoire culturelle de l’Argentine celle de la passion du football. Ce n’est pas seulement un lieu sanctifié rempli de reliques mais un lieu où l’Histoire vit avec le présent.

 

Photo : L'éternel Banderin de l'angle Guarda Vieja et Billinghurst.

null1923 : Un premier Bar-Almacen en face de la maison de Carlos Gardel :

El Banderín fut créé par Don Justo Riesco, espagnol immigré, en 1923, une époque où les Italiens et Espagnols émigraient en masse vers l’Argentine pour s’y installer. Don Justo Riesco s’installe avec son frère tout d’abord sur la calle Jean Jaures sur la cuadra des 700, juste en face de la maison de la mère de Carlos Gardel (Qui s’y installe avec son fils en 1927). Ils y ouvrent le 15 novembre 1923 un « bar-almacen ». Nous somems alors en plein dans le quartier d'Abasto.

null1929 : Ouverture de « El Asturiano »

En 1929, Justo Riesco décide de voler de ses propres ailes et achète seul une ancienne librairie à 7 cuadras de là juste au coin des calle Billinghurst et Guarda Vieja. Il y ouvre donc comme chez son frère un bar-despensa pour en faire un café d’un côté et une épicerie de l’autre. Le local se nomme alors : « El Asturiano Provisiones y Fiambrería », mais tout le nomme dans le quartier “El Asturiano” , il faut dire que toute la famille vient des Asturies. A l’époque, le local est composé de deux parties, le bar au fond et la « despensa » (épicerie) à l’angle. On pouvait y boire un café ou un genievre, boisson en vogue dans les années 20, et repartir en achetant des boites de conserve, de la farine, de la charcuterie et même du sucre. Comme nous sommes seulement à 3 cuadras du marché de Abasto (Les Halles), de nombreux commerçants des halles qui possédaient des postes venaient dans la journée al Almacen pour y déposer de l’argent, une liasse enroulée dans du journal, et en profitaient aussi pour boire une petit verre de cañita Chisoti ou de Valle Viejo avant de repartir travailler. Ils repassaient, en fin de journée, rechercher leurs liasses. Tout se faisait sur la confiance. El Almacen avait souvent le rôle de banque pour ses « puesteros del Abasto ».

Photo : En 1954, Justo Riesco derriere son comptoir en étain de sa despensa de l'Asturiano.

Vidéo : Emission "Cafes notables de Buenos Aires" 2011. 17 mn 09 s.

null1944 : le début de la collection de banderines :

Justo Riesco est un fidèle « hincha » (supporter) de l’équipe de foot de River Plate, et entraine à chaque match son fils Mario à la "cancha" (stade) pour voir leur équipe. C’est ainsi qu’à partir de 1944, alors que Mario n’a que 15 ans, le jeune adolescent commence une collection de fanion de son club et obtient la permission de son père pour commencer à les aligner sur le mur de la "despensa". A chaque retour de la « cancha » de River, c’était un « banderin » (fanion) de plus à clouer au mur de « l’Asturiano ».

null1958 : Mario Riesco prend en main le bar :

Mario donne un coup de main à son père jusqu’à ce qu’en 1958 (âgé de 29 ans) il prend en main la despensa-bar. En 1962, un supermarché s’ouvre non loin de là, et la partie épicerie doit malheureusement disparaitre, laissant place au bar sur toute la surface du local. Il en profite pour faire quelques travaux à l’intérieur, et malheureusement le comptoir en étain est changé pour être remplacé par celui qui est aujourd’hui présent.

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null1970 : El Asturiano devient El Banderin :

La collection de « banderines » continue à envahir les murs du bar et dans les années 70, Mario change le nom de son bar pour le transformer en « El Banderin » .

La collection ne cesse de s’agrandir. Avec la tenue du Mundial de 1978 en Argentine, la collection s’amplifie de fanions de clubs étrangers que les amis lui offrent. Il voyagea également à travers l’Europe et rapporta de ses excursions des fanions des différentes équipes de football européennes. Il tire d’ailleurs de ses voyages européens le surnom de « El Aleman » lorsqu’il se rend au Mundial de 1974 en Allemagne. Aujourd’hui, Mario dénombre six cents fanions de clubs de football du monde entiers dans son café. Ces derniers en tapissent les murs jusqu’au plafond.

nullLa Passion pour River Plate :

Et comme dans toute riche collection, on trouve des pièces maîtresses. Aussi peut-on admirer un incroyable fanion du premier championnat de football pour enfants « Evita » de 1949. En tant que fanion le plus ancien du Banderín, il contraste avec les fanions plus récents qui sont quant à eux beaucoup plus synthétiques et brillants. Le tout ressemble à un mélange anarchique de couleurs et de matières. Là est tout ce qui fait le charme, si particulier, du café. On y trouve aussi bien d’autres pièces de collection comme un maillot dédicacé de Caniggia (ancien footballeur attaquant argentin surnommé l’oiseau pour sa vitesse de course) que Mario Riesco ramena du match de la coupe du monde de 1994 qui vit l’Argentine battre le Nigéria. Caniggia marqua deux buts lors de cette rencontre. Et y on trouve aussi les maillots emblématiques de l’atlético River Plate et du club de la Boca. Enfin, au centre, sous une poutre en bois, se trouve le fanion de River – dédicacé. Mais si El Banderín ressemble beaucoup au café d’un passionné, c’est aussi et surtout un café qui rassemble un grand nombre de passionnés. Si aujourd’hui Mario Riesco est toujours propriétaire du café, c’est son fils Silvio Riesco qui tient le bar. Toute la famille est 100% River, Mario conserve depuis 40 ans deux bouteilles de Cinzano pour la partager avec l’entraineur du club au cas où celui-ci viendrait. El Banderín c’est une histoire vivante sur trois générations, et ce n’est pas près de s’arrêter.

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Photos : Quelques vues intérieures du bar Banderin. Photo Vincent Ottenheimer de Gail. Juillet 2012.

nullLe rendez vous pour la passion du foot :

El Banderín est un bar qui s’est construit à plusieurs. On ne compte plus les cadeaux des habitués ou des amis. C’est aussi une des raisons pour laquelle les murs du Banderín regorgent d’histoires incroyables. On peut y admirer une carte postale du premier Buenos Aires – Paris doté d’un service postal. Sur cette carte, qui date de 1928, on peut voir un facteur bleu sur un fond orange. Et selon Mario Riesco, les fanions attirent les amis et les clients qui aiment ça et qui lui en envoient par courrier du monde entier. Et parfois le Banderín a reçu des pièces de collection de supporters un peu particuliers : en 1942, Anibal Troilo (compositeur et chef d’orchestre de tango argentin, surnommé Pichuco) ramena à Don Justo Riesco un tableau fait par des prisonniers de la prison de De Voto pour  lui. En effet, les prisonniers, qui savaient que Pichuco était aussi un fervent supporter de River, découpèrent les photos des joueurs du club dans une revista Grafica de 1936, les collèrent sur une feuille bristol, entourèrent ces photos de fils de soie provenant de leurs vêtements et lui offrirent. (voir photo ci-contre).

Enfin, El Banderín est aussi un lieu de partage. Les habitués du quartier se massent pendant les matchs de coupe du monde de football que le bar diffuse sur grand écran. El Banderín s’est aussi adapté à cette clientèle ponctuelle mais fidèle en diffusant de plus en plus des matchs de football de championnats nationaux ou internationaux étrangers comme la Champions League. Si on s’intéresse plus au football argentin, on peut toujours assister les lundis soir aux émissions de radio Belgrano qui émettent leur programme hebdomadaire de football depuis une table de café du Banderín.

nullLes picadas du Banderin :

Le Banderín est ainsi un endroit convivial et chaleureux où pour prendre un café, il faut se frayer un chemin entre les timbres de collection, les cartes postales, les fanions, les bouteilles de whisky… C’est un bar de collection et de collectionneurs où l’on peut déguster des picadas traditionnelles – les picadas traditionnelles sont ici les cantimpalo, la longaniza, queso con aceituna et chambota –  et des sandwiches faits avec du vrai jambon cru italien ou encore de l’excellente charcuterie, provenant de viande coupée dans son versant, ce qui change complètement le gout. C’est ici qu’anciens viennent prendre leur café et leurs facturas le matin et échangent sur les derniers résultats sportifs, que les chauffeurs de taxi et les ouvriers prennent leur pause déjeuner et que les jeunes viennent boire un verre de Cinzano le soir ou un Fernet-Coca.

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Photos : El Banderin de Almagro.

nullUn morceau de culture Porteña :

Il n’y en a cependant pas que pour les fanatiques de football. Le Banderín abrite également les souvenirs de nombreuses personnalités célèbres argentines : Angel Firpo (boxer argentin mort en 1960), Adolfo Pedernera (footballeur au poste d’attaquant et entraineur du River Plate, surnommé « La Machine »), Pascualito Pérez (médaille d’or des JO de Londres de 1948 et champion du monde entre 1954 et 1960 de boxe catégorie poids plume) et Tato Bores (de son vrai nom Mauricio Rajmin Borensztein, humoriste, acteur et présentateur de télévision argentin mort en 1996) furent tous des clients et Tato Bores filma même une partie de son émission Le Good Show (émission de télévision sur Telefe entre 1993 et 1994) à l’intérieur du Banderin.

Le Banderín est aussi le meilleur endroit pour prendre une photo à côté de Piluso et Coquito (personnages de programmes pour enfants interprétés par Alberto Olmedo et Humberto Ortiz).

Les souvenirs d’Anibal Troilo (compositeur et chef d’orchestre de tango argentin, surnommé Pichuco) hantent également les lieux. Mario Riesco allait au River Club avec le filleul d’Anibal Troilo.

Enfin, quel sentiment étrange de penser que le Banderín, alors l’Asturiano, était un des lieux de Carlos Gardel. Il s’y rendait régulièrement. Sa mère y faisait en effet ses emplettes et payait par « libreta » (Elle avait le droit à l’ardoise, qu’elle payait chaque mois). C’est là qu’elle se fournissait en farine, en viande, en sucre… Plus tard, Carlos Gardel s’y rendait pour prendre des verres.

Le Banderín est un de ces bars historiques qui ornent les coins de rue de Buenos Aires et où le temps conjugue passion et trésors cachés. Aujourd’hui c’est la troisième génération qui s’occupe du Banderin avec à sa tête les deux fils de Mario Riesco,  Silvio et Mario Cesar.

nullConseils du Petit Hergé :

Il est certain que si on vient au Banderin ce n’est ni pour déjeuner, ni pour diner, c’est plutôt pour jeter un coup d’œil a ce qui est encore un haut lieu de ce qu’on peut encore appeler un bar de quartier, qui au fil des décennies y a fait passé ses habitués, et il y en a encore et toujours. Donc le spectacle est plus dans la salle que dans votre assiette. La plupart d’ailleurs n’y veinent pas manger, on vient y boire, à la rigueur manger sur le pouce un sandwich, grignoter une picada qui n’est pas non plus réputée pour être la meilleure de la ville, mais surtout ou y vient pour voir, pour parler y être vu quand on est une célébrité du quartier. Le Banderin c’est une seconde maison pour ses habitués.

Photo : Pour les 70 ans du Banderin en 1999.

nullPour en savoir plus :

Adresse : Guardia Vieja 3601 (Capital Federal).

Heures d'ouverture :  En hiver, du Lundi à Mercredi de 9h à 22h, et du Jeudi au Samedi de 09h à Minuit. Dimanche toujours fermé. En été, du Lundi à Samedi de 9h à Minuit. Dimanche toujours fermé. Le téléphone : 011.4862.7757.

Site web : www.elbanderin.com.ar/ et mail : bar.el.banderin@gmail.com

 

La Nacion du 18 juillet 2009 : http://www.lanacion.com.ar/1151611-mario-riesco-el-dueno-del-historico-bar-de-los-banderines

La Revista El Abasto d’octobre 2002 : http://www.revistaelabasto.com.ar/39_el_banderin.htm

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