Mise à jour : 07 décembre 2010. Article écrit par Pierre Largeas.

Constat fin 2010 :

Chaque année le volume d’importations de produits industriels croît en Argentine. Si pour l’instant sa balance commerciale reste positive, jusqu’à quand pourra-t-on observer une telle situation ?

Entre l’augmentation des prix à l’échelle internationale, les récoltes qui augmentent chaque année et l’amélioration de la production domestique, l’Argentine exporte mais aussi importe de plus en plus, déséquilibrant de plus en plus sa balance commerciale: l’excédent commercial sur les produits primaires ne cesse de croître à mesure que le déficit commercial industriel augmente. En clair, l’industrie importe beaucoup plus qu’elle n’exporte.

Entre janvier et octobre 2010, l’excédent commercial sur les produits primaires s’est élevé à plus de US$11.000 millions, tandis que celui lié à l’agriculture et à la pêche s’est élevé à US$30.000 millions. Le secteur industriel lui subit un déficit "rouge" commercial de US$18.500 millions. Au total, sur ces 10 premiers mois, les exportations ont augmenté de 24% (soit US$11.000 millions en plus), principalement des produits primaires, tandis que les importations ont de leur côté augmenté de 44% (US$13.000 millions en plus) avec la montée en flèche des importations de véhicules et de combustibles. L’excédent commercial arrive malgré cela à rester positif, bien qu’il soit en baisse de US$3.000 millions par rapport à l’année dernière.

 

L’industrie argentine importe plus qu’elle n’exporte :

L’augmentation de 44% des importations s’explique par l’augmentation de 35% des quantités importées et de la hausse de 7% des prix des produits. L’importation de biens de capital, c’est-à-dire les biens nécessaires à la production de biens et services, a cru de 36%. La UIA (Unión Industrial Argentina) explique le déficit commercial industriel par une trop grande élasticité des importations vis-à-vis de leurs produits. En effet, depuis des dizaines d’années, les difficultés du secteur industriel en Argentine ont renforcé la dépendance envers les biens intermédiaires ainsi les biens de capital qui n’ont malheureusement pas porté ses fruits ni profité au secteur industriel, et ce, durant les 10 dernières années. Par ailleurs, «si les importations de biens de capital ont augmenté de 40% sur le mois de septembre seulement, l’investissement local n’augmente pas pour autant puisque parmi ces importations on compte l’achat de groupes électrogènes, d’ordinateurs portables et l’achat de véhicules destinés au transport de marchandises» ajoute la UIA. D’autre part, les coûts de fabrication dans le secteur industriel augmentent fortement, détériorant de fait la compétitivité de l’Argentine dans ce secteur déjà bien affecté par «l’inflation en dollars» actuelle.

 

Quels sont les risques ?

A partir de ces informations, certains voient les symptômes d’une «primarisation» de l’économie argentine, comme l’explique Paolo Rocca du groupe Techint lors d’une réunion de la UIA. On peut considérer qu’une économie est primarisée si la part de ses exportations de produits primaires dans les exportations totales est prédominante, qu’elle est en cours de primarisation si cette part tend à augmenter de manière significative. L’histoire économique de l’Argentine montre que ce phénomène est apparu 2 fois depuis 1976 mais qu’il a été stoppé à chaque fois. Aujourd’hui, pour Pierre Salama, économiste et spécialiste de l’Argentine, le terme est encore un peu exagéré même si le phénomène est plus fort qu’avant. Selon Rocca, la primarisation de l’économie est une voie alléchante mais elle n’en reste pas moins un «pacte avec le diable» pour les 4 raisons suivantes (qui au passage, prises séparément, semblent positives): cela implique la création d’un accord sur le volume d’exportations de produits à faible valeur ajoutée, l’ouverture du marché aux produits industrialisés dans un contexte de surévaluation du taux de change, le financement externe de l’exploitation des ressources naturelles, et enfin la construction d’une infrastructure adaptée par le secteur privé. Toutes ces actions attireraient du dollar dans l’économie argentine ce qui semble intéressant puisque 40% des recettes du gouvernement proviennent de ce secteur et servent aux assistances sociales. Seulement, faire de la croissance à partir du secteur primaire (qui nuit au secteur industriel), c’est diminuer le nombre d’emplois qualifiés, c’est diminuer l’intégration sociale et cela nous expose à la volatilité du cours des matières premières et des «commodities» (produits standardisés aux qualités connues par tous les acheteurs et substituables entre les différents producteurs, exemple le sucre, les boulons, le courant électrique..).

 

 

 

Vidéo : Déjà en 2009, difficultés pour les PME a exporter en raison de la bureaucratie et de l'administration. Imposition des produits argentins à l'exportation. Attentisme des PME en espérant une politique plus flexible. 8 mn 11 s.

 

La situation vis-à-vis des autres pays :

En ce qui concerne les échanges avec les autres pays, l’Argentine réalise des bénéfices avec tous les continents. Les blocs avec lesquels sa balance commerciale est déficitaire sont les pays du NAFTA (Canada, USA, Mexique) ainsi que le Brésil, avec qui elle enregistre un déficit commercial de US$2.548 millions. Sur la même période, en 2009, le déficit n’était que de US$522 millions. Ce déséquilibre est du au fait que l’Argentine a exporté 31% de plus au Brésil qu’en 2009 et importé 50% de plus du même pays et ce, malgré la forte revalorisation du real. Encore une fois le secteur industriel est responsable de cette hausse massive de l’importation. Le gros des exportations part en direction du MERCOSUR, de l’Union Européenne et de la Chine. Les importations viennent en partie du MERCOSUR et de l’Union Européenne, de la Chine et du NAFTA. Les plus gros bénéfices sont réalisés avec le Chili et le reste de l’Amérique du Sud. Vu la provenance des importations, on comprend mieux pourquoi la balance commerciale tend à être déséquilibrée.

Selon l’ex-premier ministre de l’économie Jorge Todesca, le déséquilibre structurel du secteur de l’industrie est du au fait que «chaque tonne que l’Argentine exporte vaut 600 dollars quand chaque tonne qu’elle importe en coûte 1700. Pourquoi ? Parce que les biens qu’elle importe sont des produits à plus forte valeur ajoutée que ceux qu’elle exporte». Todesca explique que ces dernières années, les «termes de l’échange» (relation entre les prix d’exportation et d’importation) se sont sensiblement améliorés, à tel point que de nombreux analystes remettent en cause la théorie de Raul Prebisch qui conseille de résoudre le problème de la baisse du prix des matières primaires par le développement industriel. Selon lui, l’Argentine possède un taux de change compétitif, ses ressources naturelles sont abondantes, son agriculture productrice. Il en conclut que «la puissance exportatrice des secteurs agricole et de la pêche en Argentine sont un pilier de notre processus actuel de croissance. Cependant, à ce processus manque la présence de produits industrialisés dans les exportations. Pour y arriver, nous avons besoin d’investissements afin de financer nos crédits, et par dessus tout, nous avons besoin de la confiance des autres pays».

Mauricio Claveri, de Abeceb.com, un site d’économie en ligne, ajoute que «pendant les années 90, tout comme à partir de 2003, l’excédent commercial augmente autant que la croissance dans le secteur primaire tandis que le déficit commercial s’accentue avec le déclin du secteur industriel, à la seule différence qu’aujourd’hui on achète de plus en plus au Brésil et en Chine». Le taux de change qui a commencé à être compétitif à partir de 2002/2003 a mené les entreprises les moins compétitives à exporter de moins en moins, voire plus du tout. La plupart du temps ces entreprises sont des PME qui n’ont généralement pas la capacité d’exporter leur produits.

 

Un modèle qui n’est ni plus ni moins le fruit des circonstances par Oscar Martinez :

 

Oscar Martinez explique qu’il n’est pas mauvais pour un pays d’être un grand producteur et exportateur de soja et de ressources minérales. Des grands pays comme les USA ou le Brésil en sont. Aucun pays ne peut prétendre fabriquer tous les produits, d’autant plus qu’il faut prendre en compte le fait que beaucoup de biens de capital sont importés justement pour fabriquer d’autres biens de capital.

Ce qui ne semble pas soutenable par exemple, c’est que le gros des automobiles construites dans le pays sont faites de pièces en partie brésiliennes, ou encore que les appareils électroniques labellisés «Made in Argentina» soient construits à partir de produits importés.

Les exemples du Brésil et des USA sont pertinents en ce qu’ils ont une histoire bien distincte. Ils servent à montrer qu’un pays peut s’en sortir grâce aux matières premières tout en construisant une structure industrielle de premier rang. Parmi les éléments communs à l’histoire économique de ces 2 pays se démarque le rôle de l’Etat. Moins visible, il n’en est pas moins important. Avoir une puissante structure industrielle n’est possible qu’avec l’intervention du secteur public. Cela ne signifie pas prendre partie pour un secteur plus qu’un autre ou encore céder aux pressions des corporations. Cela signifie avoir un projet de «pays», par conséquence dessiner une structure économique pour le développer.

 Cette situation semble donc davantage provenir du contexte international plus que de l'administration en place. Le vrai problème, c’est que personne ne saura quoi faire si le prix du soja vient à baisser.

 

Liens externes :

- Site web de la Unión Industrial Argentina.

 

A lire dans le Petit Hergé :

- Recensement du 27 octobre 2010.(Octobre 2010).

- Elections au Brésil.(Septembre 2010).

- Hugo Moyano et la CGT.(Septembre 2010).

- La ville de Mercedes (Soriano).(Août 2010).

- Villa crespo Outlet.(Août 2010).

- La province de Entre Rios.(Novembre 2008).

- Le Formosa pendant la guerre des Malouines.(Juillet 2010).

- La mafia chinoise à Buenos Aires.(Aout 2010).

- Sentiment d'insécurité à Buenos Aires.(Juillet 2010).

- La ville de Ushuaia.(Juin 2010). 

 

Retour à l'accueil