Faculté d'ingénieurs de Buenos Aires. Avenida Las Heras
02 avr. 2014Mise à jour : 02 avril 2014. Catégorie : Buenos Aires.
Si vous vous promenez dans le quartier de Recoleta au niveau de l’avenida Las Heras presque à l’angle de celle de Pueyrredon, vos yeux vont vraisemblablement être attirés par un bâtiment plutôt bizarre. Un ensemble poussiéreux sorti tout droit d’un des volets de la saga d’Harry Potter. A première vue, cela semble être une église, ou plutôt d’une cathédrale à moitié abandonnée, sur laquelle poussent des herbes folles, et qui parait ni achevée, ni même utilisée. Pourtant à y regarder de plus près, des porteños y entrent et sortent et l’endroit parait donc d'être d'une utilité quelconque. En effet, il s’agit de la faculté d’Ingénierie de Buenos Aires. Comme on le dit souvent, les cordonniers sont toujours les plus mal chaussés. La sagesse populaire a souvent raison, voir entrer les futurs ingénieurs suivre leurs cours dans cette bâtisse permet de confirmer ce proverbe. Voilà tout de même que l’Etat vient d’injecter un peu d’argent en cette année 2014, non pas pour terminer cet édifice inachevable, mais pour consolider l’ensemble et éviter de se ramasser quelques éclats de bétons en se promenant sur le trottoir. Il en était temps ! |
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Quand en 1909, on s’aperçoit que la Faculté de Droit commence à devenir trop petite (alors installée sur Moreno 353), on émet l’idée d’en construire une plus grande. L’architecte Uruguayen Arturo Prins (né en 1877) est l’heureux gagnant du nouveau projet, il fut lui-même étudiant à Buenos Aires et diplômé par cette même Université en 1900. Des mauvaises langues avanceront l’hypothèse que cet architecte ayant déjà travaillé au projet de la résidence de l’hôtel particulier du Président de la République Manuel Quintana, le choix se portant sur lui pour la construction de la nouvelle Université n’aurait été le simple fait de ses compétences. Il s’agit d’un bâtiment d’un style à l’origine français du XVIIIème siècle, mais les autorités de l’Université refond plancher l’architecte car la mode est alors au néo gothique. Prins va même en Europe pour aller chercher des idées et se baigner l’imagination de modèles réellement gothiques. En 1912, il revient au pays et soumet son nouveau projet. Entre l’imaginaire de Gaudi et la rigueur surchargée du gothique, Prins met sur papier un projet d’université qui ressemble à une cathédrale avec un clocher central surplombant la ville de ses 120 m de haut ! (Les tours de Notre Dame de Paris ne font que 69 m de haut ! Le deuxième étage de la Tour Eiffel est à 115 m de haut). Le projet passe quand même ! Photo du haut : Le premier projet retenu d 'Arturo Prins en 1909 dans un style purement académique qui sera peu de temps après rejeté. Le projet final de 1912 sera celui que vous trouvez ci dessous. |
Photos : Quelques photos pendant la construction à partir de 1912. Au centre une maquette du projet tel qu'il aurait du être réalisé. |
Le terrain est déjà choisi, une manzana entière comprise entre avenida Las Heras, la calle Azcuenaga, la calle Pacheco de Melo et la calle Cantilo. La première pierre est posée en grande pompe le dimanche 23 juin 1912, et dès le lendemain, les ouvriers attaque la construction du monstre. Peu à peu, l’enthousiasme du départ s’estompe devant les frais occasionnés par un projet aussi pharaonique. L’Etat a du mal à trouver des fonds pour poursuivre le chantier, puis en 1914, quand la Grande Guerre éclate en Europe, le chantier est arrêté. Même si l’Argentine na pas pris part à la guerre, sa production mais surtout ses exportations furent totalement paralysées pendant 4 ans. L’économie du pays est affectée. On préféra alors attendre de jours meilleurs pour relancer le chantier ! Le chantier reprend en 1919, lorsque Prins arrive à faire débloquer des fonds pour 6 millions de pesos, et ce fut tout ! Une fois le budget dépensé, le chantier s’arrête à nouveau ! Il essaye a plusieurs reprise d’obtenir encore des fonds, mais sans succès. Nous sommes en 1925, le chantier est toujours à l’abandon, mais les trois premiers étages sont terminés. A la fin de la même année, le 22 décembre 1925, on décide pourtant de déménager la Faculté de Droit et de Sciences Sociales dans le bâtiment inachevé. On s’aperçoit alors que le bâtiment est trop petit et n’arrive pas à placer la totalité des étudiants. Normal ! Seulement un tiers du projet est construit. L’architecte propose alors des modifications, en abandonnant le projet initial mais en essayant de terminer du moins ce qui était déjà debout ! C’est un nouveau refus ! |
Photo : Une photo aérienne de 1924. Le chantier du bâtiment est déjà arrété. Il est en 1924 comme on peut le voir en 2014.En bas à gauche, le cimetière de Recoleta est tout proche. |
Les années passent, et en 1938, pendant une cession marathonienne dans la nuit du 23 au 24 décembre à l’Assemblée Nationale pour faire passer le budget 1939, le ministre de l’Instruction Publique (comme on le nomme alors), Mr Jorge E. Coll, propose de faire voter à 06h30 du matin, des fonds pour construire un nouveau bâtiment pour recevoir la Faculté de Droit. Soutenant qu’il sera moins cher de construire un nouveau bâtiment que de terminer celui de l’Avenida Las Heras. Les fonds seront débloqués au petit matin,… mais pour le nouveau bâtiment ! Ce matin là, le projet démesuré de la Faculté de l’architecte Prins est définitivement abandonné ! Quelques mois plus tard, en octobre 1939, Arturo Prins décède ! A se demander si cette nouvelle d’abandon après 30 ans de combat pour mener son projet n’aura pas pousser l’architecte à suivre le destin de son œuvre. |
Vidéo : Prise d'un drone, donc angles de vue inédits. (2013). |
Une légende entoure à ce sujet la mort de l’architecte, on dit qu’il se serait aperçu d’erreurs de calculs et que son bâtiment une fois terminé ne pouvait en aucune manière tenir debout. Prins était un homme obsédé par les détails et par l’exactitude de ses calculs. Apres voir vérifié tous les plans et les calculs de poussées avec l’aide de deux autres amis architectes Francisco Gianotti et Mario Palanti qui étaient aussi arrivés aux mêmes conclusions, Prins préféra se donner la mort en se tirant une balle dans la tête dans son cabinet de travail. Cette version des faits sur sa mort ne fut jamais prouvée ! Le nouveau bâtiment de la future Université de Droit est érigé sur un terrain cédé par las « Obras Sanitarias de la Nacion » (La compagnie des eaux) sur Avenida Centenario (Actuelle Avenida Alcorta) toujours dans le même quartier de Recoleta. Il fallut 10 ans de chantier et en 1949. La nouvelle faculté de Droit se termine. Choisissant symboliquement le « Dia del estudiante » (Jour de l’étudiant) pour déménager, le recteur et les professeurs iront symboliquement le 20 avril 1949 à pied de l’ancienne Université inachevée de la avenida Las Heras à celle flambant neuve (dans un pur style monumentaliste) de l’Avenida Alcorta. Ce jour là, le bâtiment de Prins se trouva abandonné. Quelques années plus tard, la Nation décidera d’y installer une annexe de la Faculté d’Ingénierie. (Le siège étant dans un bâtiment du Paseo Colón à San Telmo). Aujourd’hui (en 2014), le chef d’œuvre inachevé abrite toujours l’annexe de la Faculté d’Ingénierie. Surnommé « La Catedral » par ses étudiants comme par les habitants du quartier, il n’est pas rare de voir des argentins se signer le front en passant devant pensant qu’il s’agit vraiment d’un temple sacré ! Depuis mi 2013, La Nation a enfin décidé, non pas de terminer l’ouvrage, mais de consolider déjà ce qui existe, car le bâtiment est en piteux état. On verra dans quelques mois comment la toilette lui rendra un aspect un peu plus enjoué ! |
Photo : Rénovation des façades de la Faculté. Photo Mars 2014. |
Pour terminer cet article je vais vous raconter une autre légende urbaine entourant ce bâtiment fantomatique. Il parait que dans les années 50, un étudiant reprit les plans de Prins pour refaire les calculs pour savoir si le bâtiment aurait pu tenir debout ou non, il en fit même sa thèse. Les calculs étaient tellement complexes, qu’il ne pu jamais arriver à un résultat probant et ne termina donc pas sa thèse. Dans les années 60, un autre étudiant se lança lui aussi à vouloir passer sa thèse sur le sujet, comme son prédécesseur, il ne put arriver à bout de ses calculs et n’obtint jamais son diplôme. La légende de la malédiction de Prins était née ! |
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Ce bâtiment ne fait pas partie des « incontournables » de Buenos Aires. De plus comme il n’abrite aucun musée ou expo, les touristes n’en connaissent même pas l’existence. Mais maintenant que vous connaissez son histoire, et si vous allez au Cimetière de Recoleta, 200 m seulement vous séparent de lui, allez donc le voir ! Du lundi au vendredi, hors période de vacances scolaires, c’est ouvert comme un moulin, vous pouvez y entrer y jeter un coup d’œil ! |
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