Mise à jour : 02 septembre 2012. Article écrit par Vincent Ottenheimer de Gail. 

nullCimetière de la Recoleta :

Le cimetière de Recoleta est une des attractions de Buenos Aires, comme le Père Lachaise l’est pour Paris. Ce n’est pas le plus grand cimetière de la ville (voir Cimetière de Chacarita) cependant la plupart des grands personnages de l’histoire récente du pays y reposent et convertissent ce lieu en un passage obligé pour celui qui veut connaître les grandes figures emblématiques argentines comme Eva Perón, Juan Manuel de Rosas, Bartolomé Mitre, Domingo Sarmiento, Carlos Pellegrini ou Hipólito Yrigoyen. Situé en plein quartier qui porte le même nom, le cimetière de la Recoleta fait partie de l’ensemble touristique qui avec l’Eglise Nuestra Señora del Pilar et le Centre Culturel Recoleta constituaient autrefois le couvent des Récollets et ses dépendances.

Photo : Portique de l'entrée principale du cimetière de Recoleta sur la calle Junin.

nullLes Récollets et les Franciscains :

Promenez-vous avec une oreille attentive entre les rangées de mausolées du cimetière de la Recoleta et vous entendrez les échos de destinées singulières se mêler au chœur de la mémoire collective porteña. En effet, dans ce musée des corps, le destin de ses occupants – célèbres ou anonymes – se mélange inexorablement avec l’Histoire argentine. Cependant, cet espace déjà mythique dans l’imaginaire des porteños, ne fut pas toujours un cimetière municipal. On y trouvait à l’origine un couvent : celui des moines Récollets, qui donneront leur nom au quartier de la Recoleta. La première pierre de ce couvent fut posée en 1715, grâce notamment à l’argent du capitaine Pedro de Bustinza offert en 1705. Ce couvent n’aurait aussi pu exister sans la collaboration de Juan de Narbona. Ce commerçant Aragonais obtint de Fernando Miguel de Valdez plusieurs terrains. Souhaitant bâtir une église – future église du Pilar - il fit s’installer l’Ordre Franciscain dont se réclament les frères Récollets. L’histoire de l’église du Pilar et celle du cimetière de Recoleta resteront liées.

L’église du Pilar – placée sous la bénédiction de Notre Dame du Pilar de Saragosse – fut naturellement inaugurée le jour de la fête de la vierge du Pilar, le 12 octobre 1732. On trouvait à cette époque à côté de cette église un verger à travers lequel, d’après les écrits, il faisait bon se promener. Cette terre au repos préfigurait déjà le repos éternel des êtres. Il y eu sur cette colline un consciencieux travail sur le paysage : de nombreux arbres, amenés par Luis de Leon, ont été planté par l’agronome Martin Altolaguirre. Le grand Gomero, arbre symbole de la colline, est un vestige de cette époque.

Photo : Gravure de 1842 du cimetière de Recoleta à gauche et de la Basilique Nuestra Señora del Pilar à droite. L'espace se trouvant devant l'ensemble n'est pas encore arboré.

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Photo : Une des toutes premières photos du cimetière de Recoleta et de son église Nuestra Señora del Pilar. On peut y voir l'ancien portique d'entrée démoli en 1881. La photo date de 1867.

null1822 : Cimetière municipal :

L’actuel quartier de la Recoleta, encore loin d’abriter restaurants chics, boutiques de mode et autres expositions d’art, fut longtemps une zone reculée de Buenos Aires, violente et pauvre. C’est dans ce contexte que le cimetière attenant au couvent, jusqu’alors réservé aux seuls moines de l’Ordre franciscain, se transforma en cimetière public selon le décret du 1er Juillet 1822, émit par le gouvernement de Martin  Rodriguez. Son premier ministre, Bernardino Rivadavia – qui était bientôt le premier Président de la Nation argentine – avait fait passer une réforme ecclésiastique permettant à l’Etat de s’emparer des biens de l’Eglise. Le cimetière reçu alors le nom officiel de Cimentière de la Miséricorde, ou cimetière Général du Nord, bien que les porteños lui préférèrent le nom du quartier : la Recoleta. C’est finalement ce dernier nom qui s’imposa et qui reste en vigueur jusqu’à aujourd’hui.

nullLe nouveau cimetière reçu la bénédiction du doyen de la Cathédrale Métropolitaine de Buenos Aires, le docteur Mariano Zavaleta, le 17 novembre 1822. Les jours suivants, furent inhumés les premiers laïques : le jeune Juan Benito et Maria de los Dolores Maciel, de 26 ans, originaire de la Bande Orientale – zone tampon entre les empires espagnol et portugais de l’époque. Puis, Il y eu rapidement un déplacement massif de dépouilles exhumés dans d’autres églises et couvents de la ville. De tels déplacements provoquèrent effroi et terreur : déterrer des corps qu’on espérait plus revoir en ce monde ne pouvait que provoque des scènes de confusion et de trouble mêlant sanglots et dégout. Autre anecdote déconcertante : le premier directeur du cimetière fut nommé par le gouverneur Juan Ramon Balcarce. Il devait porter un uniforme rouge vif, une épée et un pistolet. Les situations incongrues se multipliant, le directeur changea de tenue pour un habit noir des plus sobres en 1868.

nullProgressivement, les monuments mortuaires et les mausolées se multiplièrent dans le cimetière, bien que la démesure et le faste apparents du cimetière n’aient pas encore fait leur apparition. Le premier mausolée imposant du cimetière fut celui de la famille Bustillo et fut construit en 1823. Le second appartenait à Ignacio Pequeno et fut bâti en 1827. Le témoignage écrit de l’anglais Woodbine Hinchliff, qui visita le cimetière en 1861, permet de se faire une idée du cimetière de l’époque. Il rapportait ceci en substance : l’avenue principale du cimetière était bordée par de beaux mausolées de marbre blancs qui avaient l’apparence de petits temples surmontés de coupoles. Le tout produisait pour le visiteur curieux un effet inattendu : le vaste ensemble de coupoles blanches qui dépassait des murs extérieurs évoquait une ville orientale. Même aujourd’hui, le cimetière de la Recoleta, plus petit et moins connu que celui du Père Lachaise, aux mausolées évidemment moins fastueux que celui du Taj Mahal, dégage une atmosphère très particulière, proche de celle d’un musée d’art.

Les limites du cimentière se prolongèrent sous le gouvernement de Manuel Dorrego. Prospero Catelin - auteur de la façade de la Cathédrale Métropolitaine de Buenos Aires - traça, sous les ordres du gouverneur Juan Manuel de Rosas, les rues et les divisions du cimetière, même si des agrandissements postérieurs modifièrent ses plans initiaux. Lors de la réforme de l’intendant Torcuado de Alvear, en 1881, se dressa définitivement l’entrée de style néoclassique du cimetière.

Pendant longtemps, jusqu’à la création du cimetière de La Chacarita en 1871 du à l’épidémie de fièvre jaune, le cimetière de La Recoleta fut l’unique cimetière public de la ville. Pour ceux qui appartenaient à une confession religieuse non officielle, il y avait des lieux comme le Cimetière Protestant, fondé en 1821. De plus, les suicidés présentait un problème à part : le décor social et les scrupules religieux faisaient qu’on occultait souvent les causes de la mort, comme ce fut le cas lors de l’enterrement d’Augustina Andrade, fille du poète et politicien Olegario V. Andrade, et épouse de l’explorateur Ramon Lista.

Photos : En haut, trois photos du portque d'entrée du cimetière. La première de 1885, le portique est tout recent est n'a que quatre ans, la seconde de 1890, la troisième de 1906 lors des obsèques de l'ancien président de la Republique Bartolomé Mitre.

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Photo : Au premier plan le cimetière de Recoleta. L'allée principale du cimetière se situe sur l'axe des arbres qui apparaisent au centre de la photo. A droite, la Basilique Nuestra Señora del Pilar. Tout au fond, la colonnade du batiment de la Faculté de droit de l'UBA, datant de 1949.

nullMusée d’histoire et d’art :

A l’intérieur des 5 hectares de superficie du cimetière, on trouve quelques 4700 mausolées et des milliers de sculptures, le tout représentant différents styles architecturales – gothique, classique, néo-classique, rococo… - ce qui fait de ce cimetière un véritable musée à l’air libre. Dès l’entrée, le cimetière nous interpelle, avec son fronton sur lequel est gravé un message des vivants adressé aux morts : « Requiescat in Pace » (Reposez en Paix). De l’autre côté, est gravé un message des morts adressé aux vivants : « Spectatum Dominus » (Nous attendons le seigneur).

On peut apercevoir dans le cimetière, au détour d’une allée, des œuvres artistiques de grande valeur comme la Dolorosa de Tantardini, offerte au baron Demarchi. Celui-ci la destina à la tombe de son beau-père pour lui rendre un dernier hommage. On peut aussi admirer le Christ posé sur la chapelle de Monteverde, la femme en marbre qui semble ouvrir la tombe de la jeune Rufina Cambacérès, les sculptures qui illustrent la parabole des vierges prudentes sur le mausolée des Dorrego Ortiz Basualdo, les œuvres de Lola Mora sur le mausolée de la famille Lopez Lecube…

De plus, comme le tableau des Ménines, le cimetière de la Recoleta renferme dans ses murs certains de ses travailleurs comme David Alleno, un italien qui vint à Buenos Aires vers 1880 et qui travailla au cimetière jusqu’en 1910. Sans doute, Alleno aura vu et pris part à certains enterrements de personnages clés de la vie sociopolitique porteña et argentine : celui de Lucio V.Lopez mort en duel contre le colonel Carlos Sarmiento, celui de son père, l’historien Vicente Lopez, ceux de l’écrivain Eugenio Cambacérès et de sa fille Ruina, ceux de Bartolomé Mitre, Carlos Pellegrini, Leandro Alem, Bernardo de Irigoyen… Alleno voulu, lui aussi, rester dans les mémoires, à sa manière. A la veille de sa mort, il acheta avec son épargne un mausolée dans le cimetière qu’il avait surveillé et nettoyé pendant 30 ans. Il se fit de plus représenter par une statue de marbre, avec ses vêtements et des instruments de travail.

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nullQuelques anecdotes :

Comme tous les cimetières, celui de la Recoleta regorge d’anecdotes – des plus surprenantes aux plus pittoresques – et quelques légendes d’outre-tombe. Entre autres curiosités, mentionnons le dispositif électrique commandé par Alfredo Gath – directeur du grand magasin Gath & Chaves – permettant à ce dernier d’ouvrir son cercueil de l’intérieur grâce à une manette placée dans sa main. Un mécanisme similaire lui permettait d’ouvrir la porte de son mausolée. Cela s’explique par la peur d’être enterré vivant qui s’était installée après l’enterrement de Rufina Cambacérèe, victime d’une attaque de catalepsie et qui mourra asphyxiée dans son propre tombeau.

Enfin, comme dans tant de lieux funéraires, le cimetière de la Recoleta possède sa légende romantique : celle d’une jeune fille, dotée d’une beauté délicate, et qui se promenait tous les jours à travers les allées du cimetière, vêtue d’une capeline. Un jour, un jeune homme vint la séduire et celle-ci lui donna rendez-vous chez elle. Il vint la chercher à son domicile le jour suivant et c’est une vieille dame, la mère de la jeune fille, qui lui ouvrit la porte. Cette dernière lui expliqua que sa fille était morte depuis des mois et qu’elle était enterrée dans le cimetière de la Recoleta.

Quelques étrangers notables, qui vivaient et sont morts à Buenos Aires, furent également enterrés dans le cimetière. Un d’eux est entré dans la légende et la littérature. Dans le conte « L’escalier de marbre » du recueil Mystérieuse Buenos Aires, Manuel Mujica Lainez évoque ce personnage historique réel : le dessinateur et architecte français Pierre Benoit, qui a notamment collaboré avec Prospero Catelin sur les plans du cimetière sous le gouvernement de Juan Manuel de Rosas. Dans cette fiction, Benoit, amnésique, n’est rien d’autre que Louis XII, le dauphin de France, qui a réussi à s’enfuir de la prison du Temple, grâce à quelques fanatiques, et récupère sur son lit de mort, à Buenos Aires, la mémoire de son passé perdu. Notons une autre figure  célèbre étrangère enterrée dans ce cimetière : la nièce de Napoléon Bonaparte. Le père de cette dernière était le compte Alejandro Colonna Walewski, fils non reconnu de Napoléon et de la comtesse Maria Walewska.

Photo : Le portique d'entrée du cimetière

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Photos : A gauche, les obsèques de l'ancien president de la Republique Raul Alfonsin en avril 2009. A droite, le tombeau d'un autre président Bartolomé Mitre décédé en 1906.

nullEntre les voutes :

On pourrait dans cette rubrique faire l’apologie des tombes d’Eva Peron ou autres Sarmiento, les plus connues du cimetière, mais cela ne serait que renforcer la célébrité, non mérité au regard d’autres vrais chef d’œuvre, de ces mausolées. Tenons-nous en aux faits et laissons la liberté au visiteur de juger quelle mausolée vaut le détour ou non.  Après-tout, dans le cimetière de la Recoleta, il faut savoir se perdre pour trouver la beauté. De ce fait, la visite guidée est peu recommandable car elle n’apporte rien de bien intéressant. Permettez-moi, cependant, d’anticiper certaines de vos questions.

Quel est le mausolée le plus ostentatoire ? Certainement celui de la famille Dorrego Ortiz Basualdo. Il fut construit en forme de chapelle, dans le style français. Sa sculpture, du sculpteur italien Giovanni Villa) en marbre représente une scène de la Parabole des vierges sages et des vierges insensées. On peut aussi distinguer une croix latine ornée de l’emblème des 4 évangiles, ce qui signifie que les doyens du mausolée sont catholiques.

Quel est la tombe la plus ancienne ? Depuis la restauration du cimetière en 1881, les restes de l’épouse de San Martin reposent dans la plus ancienne mais aussi la plus simple tombe du cimetière. La pierre tombale fut posée par le héros de la Nation San Martin en personne. Cette tombe se situe juste à côté de l’entrée.

Quelle est le mausolée qui coûta le plus cher ? Assurément celui du Prix Nobel de Chimie de 1970, Frederico Leloir. Le temple qui surplombe le mausolée est lui-même surmonté d’une coupole à l’intérieure de laquelle on peut admirer un Christ rédempteur en or.

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Photos : Au centre le temple de Federico Leloir. A droite, plus modeste le caveau de la famille Duarte qui abrite les restes d'Eva Peron.

nullLes curiosités du cimetière de la Recoleta :

Qu’est-ce qui distingue le cimetière de la Recoleta des autres cimetières ? Premièrement, le nombre incalculable de chats qui y ont élu domicile. Rares sont les lieux à Buenos Aires, on l’on trouve autant de chats (Peut être aussi le parc Botanique). On aura tout entendu sur ces animaux errants : qu’ils seraient la réincarnation des défunts ou qu’ils se nourriraient des cadavres et que ce serait pour cette raison qu’ils seraient aussi nombreux. Cependant la raison de leur nombre est simple : de nombreux voisins viennent quotidiennement leur déposer de la nourriture dans le cimetière. Ces chats donnent parfois une ambiance de parc zoologique au cimetière, lorsque les touristes préfèrent prendre ces derniers en photos plutôt que les merveilles architecturales qui les entourent.

On peut aussi y croiser des jeunes gens, entièrement vêtus de noir et maquillés de blanc. Appelez-les gothiques si vous voulez, le fait est qu’ils utilisent comme signe de ralliement le noir pour rappeler leur opposition à la religion catholique. Une autre curiosité, parfois morbide pour les étrangers, réside dans la conservation des cercueils à la lumière du jour à l’intérieur des mausolées. Aussi, au détour d’une allée, pouvons-nous apercevoir des restes humains à même le sol dans un mausolée abandonné. En effet,  il y a un nombre important de mausolée abandonné et qui ne peuvent pas être remplacé car ils ont été achetés à perpétuité. En effet, à l’origine les emplacement étaient généralement achetés ou loués à perpétuité. Cependant il est encore possible aujourd’hui d’acquérir une place dans le cimetière de la Recoleta moyennant un prix minimum de 15.000 dollars. Enfin, on dénombre beaucoup de personnes qui viennent dans ce cimetière simplement pour discuter entre amis sur un banc, pour se faire une séance photos ou, encore plus curieux, pour faire une sieste.

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nullLes conseils du Petit Hergé :

La visite du cimetière est sans aucun doute « incontournable » mais doit se compléter par une visite du cimetière de Chacarita (ne serait ce que pour voir la tombe de Carlos Gardel), ou vous serez impressionnés par des tombeaux encore plus impressionnant qu’à Recoleta. Choisissez une journée ensoleillé et allez y vers midi pour la lumière. En semaine c’est plus calme, le weekend bien plus fréquenté surtout à l’extérieur par la proximité de la feria de plaza Francia. Le cimetière est ouvert tous les jours de 07h du matin à 17h45. L’entrée est libre et il existe des visites guidées. Quand vous sortez du cimetière allez voir la Basilique Nuestra Señora del Pilar qui y est accolée. A partir du musée de l’Eglise (payant et en étage) vous avez une belle vue sur le cimetière.

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nullPour en savoir plus :

-          Très bon blog (en espagnol) sur les contes et légendes du cimetière : http://cementeriodlarecoleta.blogspot.com.ar/ On y apprend par exemple, qu’un employé du cimetière s’est suicidé en 1910 pour pouvoir y reposer.

-          Autre site très complet (en espagnol) sur le cimetière avec des curiosités, des anecdotes…  http://cementeriorecoleta.com.ar/index.html

-          Blog sur le quartier de Recoleta (en espagnol) avec une page sur les visites guidées gratuite du cimetière. http://www.recoleta.com.ar/articulo-blog/visitas-guiadas-al-cementerio-de-recoleta

-          Exceptionnel site argentin de Généalogie (en espagnol) avec une liste impressionnante de tous ceux qui se sont fait enterrés à Recoleta. Chaque tombe à sa photo (Pour le moment 874 tombes répertoriées) et a son propre article. A ma connaissance pas de site plus complet que celui-ci sur le cimetière : http://www.genealogiafamiliar.net/showmap.php?cemeteryID=1

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