Mise à jour : 16 mai 2015. Catégorie : Buenos Aires.

 Le Bar Los Galgos :

 

J’ai eu un mauvais pressentiment quand fin 2014, j’ai vu, un lundi, les persiennes métalliques de l’angle Callao et Lavalle fermées ! Car derrière ce rideau de fer, se cachait encore un des bars les mieux conservé des années 30. Quand je dis mieux conservé, c’est dire que rien n’y a changé depuis 80 ans ni même les vieux ventilateurs (certains amateurs des lieux parlaient d’une conservation à 90%). Alors lorsque janvier 2015 est passé et le bar demeura fermé, j’ai mis cette léthargie sur le compte des grandes vacances, février et passé, puis mars et puis, fin avril, un panneau sur chaque rue de l’angle a été apposé où on pouvait lire : « Se Alquila » huy ! Il fallait bien s’y résoudre, le Bar Los Galgos avait bel et bien fermé ! Mais était il mort pour de bon ? Ou allait-il renaitre de ses cendres ?

Photo Petit Hergé : Façade sur Calle Lavalle. 15 mai 2015. Le local est en location.

Photo : la même photo angle callao et calle Lavalle en juin 2007.

Immeuble de 1880, et bar depuis 1930 :

 

L’immeuble date de la fin du XIXème siècle (on suppose vers 1880), il était le lieu de résidence de la famille Lezama. En 1920 cette famille le met en location et c’est la société Singer qui le loue pour y installer la première fabrique de machines à coudre d’Amérique du sud (Elles étaient jusqu’alors importées d’Europe ou des Etats Unis). Puis en 1925 la partie à l’angle de Lavalle et Callao est occupée par une pharmacie. C’est dans cette partie qu’en 1930 un Asturien ouvre une despensa et bar (magasin alimentation général et bar) du nom de Los Galgos (les lévriers) parce que passionné par les courses canines.

 

En 1948, le bar despensa (et le premier etage) est acheté par Jose Ramos qui arrive dans le pays en 1918 et qui jusque là était commercial chez les liqueurs Cusenier, et décide de garder en état l’ancien bar et de laisser le nom de « Galgos ». Il laisse les mêmes tables, chaises, meubles, la choperia (datant de 1918), et les deux statues de porcelaine de lévriers qui ornent le buffet. C’est alors une affaire de famille, puisque tout le monde y travaille, tout d’abord Jose, sa femme Maria Helena, son frère Jose Alberto et sa sœur Ines. A la mort de Jose, les trois enfants (Horacio (né en 1929), Alberto (né en 1928) et Inés) continuent à gérer le bar.

Le seul changement qu’à connu ce bar fut dans les années 70, le changement du comptoir avec revêtement en formica (le nec plus ultra de ces années 70), mais l’armature est la même. Le bar a toujours les trois mêmes entrées qui donnent sur l’avenida Callao, l’autre sur la calle Lavalle et enfin la principale qui donne juste sur l’angle.

Photos : 

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Photos : Les deux levriers en porcelaine sur le meuble principal du bar. Au centre, Horacio Ramos.

L'age d'or entre 1948 et 1980 :

 

A partir de 1948 le bar était ouvert 24h sur 24h et les 7 jours de la semaine. Ce rythme se maintint jusque dans les années 1980. Il comptait au total 10 employés et servaient jusqu’à 500 café par jour. Dans les années 1980, on passe aux horaires d’ouverture de 6h à 22h et on reste fermé le dimanche. Le quartier entre les années 50 et 80 a terriblement changé et les immeubles de bureaux ont remplacé peu à peu les maisons résidentielles et les hotels particuliers. Le public changea aussi, et les familles bourgeoises laissèrent la place aux employés de bureaux et aux étudiants de l’université Salvador toute proche.

Entre 1950 et 1970, le bar était fréquenté par des hommes politiques et des artistes tels que Enrique Santos Discépolo (qui vivait pas très loin sur Callao 800), Julio De Caro, Aníbal Troilo, Oscar Alende et Arturo Frondizi 

En octobre 2004, le bar Galgos entre la liste des bars notables de la ville, mais le manque d’entretien fait fuir la nouvelle clientèle qui préfère les autres bars un peu plus branché de la zone. Les clients se raréfient et le bar n’ouvre plus que du lundi au vendredi et de 06h à 20h. "Acá primero se consume, se charla y después se paga". Ici, d’abord on consomme, on discute et ensuite on paye” disait Horacio.

    

Photos : Horacio à gauche, plaque pour le 75eme anniversaire du bar. Le bec verseur d'eau de 1918 à droite.

La fin d'une époque 2011-2015 :

 

Le 13 octobre 2011, Alberto Ramos décède et seul Horacio reste aux commandes du bar. En 2013, le dernier des frères, Horacio décède a son tour à 86 ans (il n’aura jamais abandonné son bar, ses 5 jours ouvrables, et sa blouse blanche de mozo ou alors en costume et cravate). Il habitait juste au dessus au premier étage. Le bar est repris un temps par Mariano Calzado, son unique petit neveu (petit fils de Alberto) qui finalement décide de fermer les persiennes en décembre 2014. Les mozos de toujours (au moins 20 a 30 ans d’ancienneté) Martín et Pe­dro Mendoza et Froilán Valenzuela, le plongeur et « sandwicheur » abandonnent aussi les lieux à regrets.

Horacio aimait dire "El único bar que se mantiene intacto pese al paso de los años". L’unique bar qui se maintient intact malgré les années qui passent.

On se souviendra donc encore longtemps de ce look totalement décalé, ou plutôt des époques qui étaient passées dans la rue, mais qui n’avaient jamais pu passer le seuil des trois portes du bar. A l’intérieur nous étions toujours en 1930. Accroché au mur on pouvait lire : “Por ordenanza municipal no se aceptan devoluciones de masas y sándwiches”. (Par décret municipal, on n’accepte pas l’échange des biscuits et des sandwichs). Ou encore un avis de la police qui prohibe “juegos de naipes, dados y otros” (jeux de cartes, dés ou autres).

En mai 2015, le bar est à louer ! ...Esperons qu'il soit repris par un amoureux des lieux ! 

Photo : Intérieur de Los Galgos. Photo juin 2007.

Photo Petit Hergé : Lors d'un de mes passages dans ce bar, le 14 mai 2012. Porte d'angle. 

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